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LE VICOMTE DE LAUNAY.

qu’un bal du matin. Le bal de lundi dernier, qui avait été précédé de tant d’angoisses, a parfaitement réussi malgré l’orage de la veille ; le temps était superbe, le coup d’œil était charmant. On dansait sur un frais gazon à l’ombre de ces grands arbres qui deviennent si rares, restes précieux de l’ancienne magnificence aristocratique, vieux témoins des fêtes d’autrefois qui sont le plus bel ornement des fêtes d’aujourd’hui. Et toutes ces femmes si jolies, parées de robes de toutes couleurs, coiffées de légères capotes de crêpe, d’élégants chapeaux de paille, tournant, valsant, passant et repassant à travers ces touffes de fleurs, c’était un effet magique, un ballet d’opéra sans coulisses, sans trappes, sans rouge et sans danses académiques. Le déjeuner était servi sous une tente, et le banquet lui-même formait le tableau le plus gracieux. Dans les sombres allées on rencontrait des ambassadeurs qui causaient politique, tout en admirant la noble démarche de la belle madame B..ing, la ravissante beauté de l’aimable princesse G… Un bosquet d’ambassadeurs, direz-vous, cela n’est pas très-champêtre ; non, mais comme c’est flatteur ! il y avait derrière la tente un bois mystérieux tout peuplé de marmitons ; voilà qui est encore moins champêtre, mais qui, pour les esprits positifs, est peut-être encore plus flatteur. Ce bosquet de marmitons était parfaitement caché : et il faut notre perspicacité pour l’avoir su découvrir. Le service se faisait si merveilleusement, qu’on ne voyait nul serviteur aller ni venir, cela tenait du prodige : nous avons voulu avoir le mot de l’énigme, et à force de recherches nous avons découvert dans une forêt obscure le nid de marmitons. On a dîné là, sous les arbres, dans des corbeilles de fleurs ; on a dansé depuis deux heures jusqu’à huit heures, ensuite on est allé avec ses danseurs au spectacle, et puis on est revenu souper chez soi à minuit avec toute sa société. Jamais journée n’avait été plus agréable, jamais fête n’avait paru mieux ordonnée et plus naturellement splendide. Paris était là dans tout son luxe et dans toute son élégance ; et les provinciaux qui s’imaginent avoir vu Paris… et qui n’ont pas assisté à un bal du matin chez une grande dame étrangère !… C’est là qu’il faut aller étudier Paris et les Parisiens.