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LE VICOMTE DE LAUNAY.

raconter quelque histoire fabuleuse très-réellement et tout simplement arrivée dans le jardin d’un mécanicien ou dans la modeste retraite d’un savant : il y a, par exemple, rue d’Enfer, un inventeur dont le nom sera bientôt célèbre, qui s’amuse à voir planer sur le gazon de son jardin un charmant oiseau qu’il a fabriqué lui-même ; le mouvement des ailes, la direction du vol, tout est parfait ; il ne manque à ce charmant oiseau que la vie et l’instinct ; mais qu’est-ce que cela, s’il peut grandir assez pour porter bientôt sur ses ailes celui qui a la volonté et le génie !

On parle maintenant d’un autre savant accusé d’une invention plus divertissante : il a appliqué aux animaux vivants le procédé de coloration employé pour le bois des arbres. Il injecte de la couleur demandée les veines d’un quadrupède quelconque, et il vous procure sans le moindre effort un cochon bleu de ciel, un veau lilas, un chien vert-pomme, un ânon prune de Monsieur, un mouton jaune-safran, un agneau rouge, etc., etc. Voilà donc les rêves de Virgile réalisés :

Ipse sed in pratis aries jam suave rubenti
Murice, jam croceo mutabit vellera luto ;
Sponte suâ sandyx pascentes vestiet agnos.

Les savants ont toujours été les ennemis acharnés des poëtes. Ils n’ont pas de cesse qu’ils n’aient changé leurs chimères les plus folles en raisonnables vulgarités. Certes, Virgile croyait faire de la poésie en imaginant des béliers jaune-safran et des agneaux rouges. Eh bien, pas du tout, il faisait de la chimie ; que dirait-il si nous lui répondions par des vers semblables à ceux-ci ? nous en aurions le droit :

Tityre est au vallon, son chien vert l’accompagne,
Et ses pourceaux d’azur paissent sur la montagne.

Virgile n’avait pas prévu les pourceaux d’azur.

À propos d’expériences et de quadrupèdes, un chimiste fameux vient de faire l’essai de différents poisons sur différents caniches dévoués par leur laideur à être sacrifiés sur les autels de la science. L’un d’eux, plus heureux que les autres, tomba sur le jour des contre-poisons ; on l’empoisonna… bien !… puis on le désempoisonna ; le lendemain on voulut le réempoi-