Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/297

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
289
LETTRES PARISIENNES (1844).

autres, ou, ce qui est plus amusant, ils se copient les uns les autres. Une dame de Grenoble admire le mantelet d’une dame de Beauvais, qu’elle prend pour une lionne parisienne ; elle étudie la forme gracieuse de ce mantelet. Un élégant de Cahors avise le gilet d’un merveilleux d’Abbeville, qu’il prend pour un dandy renommé ; il étudie la coupe ingénieuse de ce gilet. Ces erreurs sont effrayantes ! Nous engageons les habitants de la province à se défier d’eux-mêmes. Il serait par trop cruel pour eux de rapporter de la capitale des modes alsaciennes ou berrichonnes ! Nous les supplions de renoncer à nous juger cette fois : après ce voyage, ils auront vu Paris, sans doute ; mais qu’ils ne se fassent pas illusion, ils n’auront pas vu les Parisiens.

Oh ! comme ils le regardent avec amour, ce Paris, objet constant de leurs, rêves ; comme ils ont déjà peur d’être obligés de le quitter ; comme ils s’y attachent déjà, malgré tous leurs intérêts lointains ; comme ils le comprennent vite, comme ils le devinent ; comme, à travers les mille séductions qui s’offrent à eux, ils pressentent avec intelligence les mille séductions qui leur échappent, car ils ne connaissent de la grande merveille que ses beautés les plus vulgaires ; ils connaissent ses plaisirs publics, ils ne connaissent pas ses fêtes mondaines ; ils connaissent sa puissante richesse, ils ne connaissent point son luxe élégant ; ils connaissent le corps, ils ne connaissent point l’âme ; ils connaissent l’industrie, ils ne connaissent point la science ; ils connaissent les œuvres, ils ne connaissent point le travail, et le travail est ce qu’il y a de plus grand chez cette reine de la pensée : les œuvres ne sont que le passé, le travail est tout l’avenir. La frivole hypocrite fait semblant, le jour, de rire et de s’amuser, mais toute la nuit, elle veille avec des compas et des livres, avec des alambics et des creusets ; elle quitte son boudoir parfumé pour son laboratoire enfumé ; et jamais elle ne se repose : et les inventions et les découvertes qu’elle vous fait admirer aujourd’hui ne sont pour elle que les préludes des nouvelles inventions et des nouvelles découvertes qu’elle vous offrira demain. À ses yeux, le moyen trouvé n’est que la promesse d’un autre secret cherché, et le secret découvert lui-même n’est que le pressentiment d’une autre vérité poursuivie… Et chaque jour on vient nous