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LE VICOMTE DE LAUNAY.

affreuse auberge ?… » Laissons-les continuer leurs recherches, et ne mettons pas le comble à leur désespoir en leur disant qu’un voyageur connu, dont on cite le nom, a frappé à la porte de cinquante-deux hôtels sans pouvoir trouver à se loger. Une grande dame de la famille Bonaparte n’a pu avoir qu’un appartement fort médiocre au quatrième étage. Mademoiselle Taglioni est perchée aussi au quatrième ; mais peu lui importe : un entrechat… et la voilà rentrée chez elle. Les hôtels sont pleins, les cafés sont pleins, les théâtres sont pleins, les fiacres sont pleins, ils sont même très-élégamment habités : hier, nous avons vu passer cinq chapeaux à plumes dans le même fiacre. Ô province ! tu peux aussi t’écrier avec le héros béarnais : « Vous me reconnaîtrez, en fiacre, à mon panache blanc ! »

Dès le matin, on dîne chez les restaurateurs ; de midi à six heures du soir, les fenêtres des cafés s’empourprent de voyageurs attablés, car tous ces dîneurs sont rouges comme du feu. Les uns ont couru toute la matinée les promenades et les musées, ils étouffent ; les autres ont passé deux nuits dans la diligence, ils brûlent ; celui-là est à son troisième coup de soleil, il rayonne ; celui-ci, à son troisième accès de colère, il flamboie… il a battu le pavé de Paris dans tous les sens pour une affaire manquée, pour un débiteur introuvable, pour un protecteur invisible : il a perdu sa journée, il est furieux. Et puis ils sont entassés par vingtaines dans des salons qu’échauffent avec une émulation fatale les vapeurs capricieuses des potages les plus variés ; et puis enfin tous sont en retard ; les plaisirs du spectacle les appellent ; ils se hâtent, ils mangent vite, mais cet appétit n’a rien de vorace, ils n’ont pas l’air affamés, ils ont l’air affairés ; et tout cela fait qu’ils ont des figures écarlates. À cinq heures, devant l’Opéra il y a déjà foule. Que joue-t-on ? Cela est indifférent, la bonne musique, la mauvaise, les chanteurs à voix, les chanteurs sans voix, les vieux ballets, les ballets nouveaux, attirent également les habitants de la province. Ne faut-il pas qu’ils aient vu le Grand-Opéra une fois au moins ! Ils envahissent la salle, ils encombrent le foyer, dont ils ont chassé les Parisiens, et ils se prennent entre eux pour des Parisiens, et ils se moquent les uns des