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LETTRES PARISIENNES (1844).

« Mais venez donc, petites folles, et marchez toujours devant nous ; vous nous perdrez. Que deviendrez-vous alors, seules dans Paris ? Va, pour plus de sûreté, prends le bras de ton père, Célestine. Toi, Jenny, viens avec moi… Mais que regardiez-vous là-bas avec tant d’attention ?

— Ah ! maman, des bijoux superbes ! un beau bracelet qui avait pour cadenas une grosse tortue, et puis une broche qui représentait un grand lézard tout en émeraudes, puis deux charmantes épingles, deux petits singes d’or qui jouent avec une petite boule en perle ; c’est délicieux. Mais ce que j’aime le mieux, c’est plus loin, chez un horloger, cette pendule magnifique ; toute la pendule est une corbeille de fleurs, et le balancier… tu ne devinerais jamais, maman… le balancier, c’est un papillon qui voltige de fleur en fleur. Quelle jolie idée ! Il n’y a qu’à Paris qu’on a de ces idées-là.

— Voyons donc, dit la mère, ça doit être très-original, viens vite.

Et toutes les deux d’un pas leste, elles remontent le boulevard et elles restent immobiles d’admiration à considérer ce papillon merveilleux. Le père s’arrête :

« Eh bien, Célestine, voilà maintenant que nous avons perdu ta mère et ta sœur ! Cherche-les donc de loin, toi qui as de bons yeux.

— Je les aperçois ; mais que font-elles ?… Elles retournent sur leurs pas. C’est que Jenny aura perdu sa montre ; il faut les rejoindre. »

On rattrape les fugitives en murmurant ; mais à l’aspect du papillon-balancier tout s’explique.

« Ah ! elles sont devant cette pendule dont je te parlais, papa ; tu étais si fâché de ne l’avoir pas vue… la voilà ! »

Toute la famille reste absorbée par les mille pensées que lui inspire la délicatesse de cette image : les caprices du papillon marquant le vol des heures. Il est certain que cette pendule fait rêver. On finit par plaindre ce papillon condamné à une inconstance méthodique et éternelle : il voltige régulièrement de la tulipe à la rose, de la rose à la tulipe, de la tulipe à la rose, sans jamais dévier. En vain une pensée lui sourit ; en vain une anémone l’agace, il ne peut répondre à leurs avances :