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LETTRES PARISIENNES (1844).

harpe ; mais un domestique, renvoyé le matin, a donné par malice une fausse adresse à l’Auvergnat, qui a remporté la harpe en disant les folies les plus amusantes. Ce rôle d’Auvergnat a été joué en perfection, il a eu les honneurs de la soirée. Dans l’excès du désespoir, on a recours à un jeune amateur des beaux-arts, qui chante un peu avec un charmant défaut de prononchiachion. On lui demande son air favori : Ô mort ! chois-moi propiche ; — mais il ne le chait plus. Depuis quelque temps il ne s’occupe plus de musique. « Maintenant, je barbouille, dit-il. — Mais il me semble que vous avez toujours un peu barbouillé. — Ah ! je vois votre méprise ; quand je dis : Je barbouille, je veux dire : Je peins… » C’en est donc fait, chanteur sérieux, chanteur plaisant, cantatrice célèbre, amateur inconnu et bredouillant, tout a manqué. Mais la ressource universelle leur reste : la polka consolatrice vient à leur secours. — « Nous ne pouvons pas chanter, dansons ! » — Ainsi finit le proverbe et commença le bal. De véritables Auvergnats, moins littéraires que l’Auvergnat de la comédie, vinrent démonter le joli théâtre : on le jeta par la fenêtre, avec ses rideaux, ses décorations, ses coulisses, et l’orchestre démasqué apparut aux regards joyeux des jeunes filles, empressées de faire valoir leurs fraîches robes de bal, violemment comprimées par les banquettes du parterre. Et le bal fut aussi joyeux que le proverbe avait été amusant ; et nous envions cruellement les échos du monde qui retentissent depuis trois jours de tous ces noms connus, que nous n’osons pas même désigner.

Hier, un magnifique concert chez madame d’O… a fini de même par un bal. Liszt a été merveilleux, il avait électrisé tout l’auditoire ; il a joué d’une manière si admirable et si touchante l’Invitation à la valse, de Weber, que les valseurs ont eu bien peu de chose à ajouter à cette poétique prière pour se faire comprendre de leurs valseuses. Faire chanter par Liszt cet air si tendre au commencement d’un bal, ce n’est pas prudent. Heureusement, la polka est encore venue secourir les imaginations exaltées. On a beau médire de cette danse, elle a une bonne et franche allure, toute naïve et même un peu bête, qui ne doit avoir rien de dangereux. Mais il y a polka