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LE VICOMTE DE LAUNAY.

une robe du soir faite en robe du matin ; une robe de gros de Naples blanc, montante, ou, pour être mieux compris, c’est un habit de cheval en gros de Naples blanc, corsage juste et manches à coude ; — ou bien c’est un peignoir en dentelle doublé de taffetas bleu ou rose, et chiffonné par mille nœuds de rubans. Négligé sans prétention et sans prix, trésor inestimable, avec lequel un riche fermier de la Beauce marierait deux ou trois filles. Ce n’est pas tout : avec cette robe-là, il faut un chapeau, et quel chapeau ! ce qu’il y a de plus coquet, de plus nouveau ; on médite huit jours le choix de ce chapeau. Si l’on veut le quitter pour danser, il faut encore être aussi coiffée d’une guirlande de fleurs : ce sont des fleurs naturelles, montées par madame Barjon ; avoir le matin des fleurs artificielles, ce serait une faute impardonnable ; mais personne n’y a jamais songé. La guirlande se pose de manière à être très-jolie sous le chapeau et très-jolie encore sans le chapeau. Ce sont des combinaisons infernales. Maintenant il ne manque plus rien qu’un mantelet : autre combinaison non moins profonde, la tête la plus forte n’y suffit pas ; mais le bon goût finit par simplifier toutes choses, et les femmes distinguées savent éviter avec art le malheur de tomber dans ce que nous appellerons les toilettes incompréhensibles. Nous faisons grand cas du style en fait de parure, et nous ne croyons pas que la fantaisie elle-même puisse se passer d’harmonie.

La fête d’hier a eu lieu dans l’ordre accoutumé. Les jeunes personnes sont arrivées à deux heures, avec leurs mères, et se sont emparées de la salle de bal ; les femmes sont arrivées ensuite ; les élégants sont venus beaucoup plus tard ; puis enfin les hommes politiques ont paru après la séance de la Chambre des députés. Comme nouveauté, tout le monde admirait l’arrangement des lustres ; il y en a dans la salle de bal environ une cinquantaine, ils étaient tous remplis de fleurs en bouquets, et ces corbeilles aériennes, brillantes de toutes couleurs, produisaient un effet charmant.

Le temps froid qu’il faisait avait enlevé à la fête sa physionomie champêtre : le déjeuner n’était pas servi dans le jardin ; on errait peu dans les bosquets, on folâtrait peu dans la prairie. Si quelque imprudente, séduite par la fraîcheur des gazons,