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LETTRES PARISIENNES (1844).

gantes les plus distinguées ! — Que voulez-vous, elles portent les mêmes chapeaux, elles lisent les mêmes journaux, elles aiment les mêmes héros !… or, quand on a les mêmes parures, les mêmes lectures, les mêmes aventures, on est bien près d’avoir les mêmes allures.

Cependant il faut dire, pour être juste, qu’il y avait beaucoup de femmes charmantes l’autre jour au concert de Liszt. Mais aussi tous les mondes et tous les pays s’étaient donné là rendez-vous ; chaque société s’y faisait représenter par sa beauté célèbre. Cette soirée a été admirable. La mode n’est pas inconstante, comme on le prétend ; depuis son enfance, Liszt est son favori ; elle l’a admiré naguère en l’appelant le petit Liszt, elle l’admire maintenant en le proclamant le grand Liszt : on ne peut pas appeler cela un changement. Tous les rivaux qu’on a voulu lui opposer n’ont fait que constater sa gloire. De même, c’est en vain que l’on veut détrôner Batta : la mode lui reste fidèle. On vante avec raison plusieurs artistes ses émules ; il est impossible de jouer du violoncelle avec plus de talent que Piatti et de geindre avec un plus beau style et une plus belle méthode ; mais Batta ne geint pas, il chante, et le monde aime mieux les chants réellement trouvés que les difficultés prétendument vaincues.

Ce qui était admirable, c’est le bal donné lundi par madame l’ambassadrice de Belgique. La salle de danse, bâtie exprès pour la fête, offrait un aspect tout nouveau : les murs étaient tendus d’étoffes blanches et bleues, et dans cette immense salle, il n’y avait que deux choses, des fleurs et des lumières, mais dans une quantité prodigieuse à troubler le regard ; cela ressemblait à une hallucination, à un mirage ; nous ne saurions vous expliquer cet effet : les lustres que l’on apercevait dans le lointain avaient l’air de la réflexion de ceux que l’on avait devant soi ; les fleurs ne servaient pas non plus à vous guider, il y en avait partout et elles étaient toutes pareilles ; vous disiez : « Je vais rejoindre madame une telle, je l’ai laissée assise près d’une jardinière de camélias et de lilas » Vous la cherchiez cette jardinière, mais il y en avait cent et elles étaient toutes remplies de camélias et de lilas. Vous étiez complètement dérouté ; cela faisait l’effet d’un rêve,