Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/276

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
268
LE VICOMTE DE LAUNAY.

tacle ravissant que les amateurs de la bonne comédie vont écouter avec délices. Et pourtant les petites-maîtresses du grand monde n’ont jamais eu l’idée d’aller voir ces comédies-là ; le langage de Molière leur semble trop grossier ; elles préfèrent le style du Palais-Royal, c’est plus délicat. C’est là que chaque soir elles courent avec empressement, c’est là qu’elles minaudent, un flacon anglais à la main, coiffées d’un fond de bonnet orné d’une rose sans feuilles et sans tige plaquée de chaque côté de la tête et figurant deux oreilles. Elles ont mille raisons d’aller à ce théâtre, où les acteurs sont excellents et les pièces fort amusantes ; mais elles pourraient bien aussi aller entendre Molière et ne pas tant dire qu’elles le savent par cœur, quand elles prouvent par leur ignorance et surtout par leurs ridicules qu’elles ne l’ont pas encore lu : car si elles pouvaient répéter de mémoire les sottes critiques de la sotte Climène, elles les répéteraient moins souvent de nature.

L’Opéra est l’asile des souvenirs ; là des hommes qui ont été beaux passent leur soirée à lorgner des femmes qui ont été belles. L’aspect de cette salle un peu grave n’est pas cependant sans charme et sans dignité. C’est la grandeur de Rome, d’Athènes, de Palmyre, de Balbek, de Thèbes… C’est la majesté du passé.

Mais où sont donc les jolies femmes, les femmes bien mises, d’une élégance irréprochable ? À quel théâtre les voit-on ? — On les voit aux Variétés. Là sont réunies les femmes vraiment jolies, aux manières distinguées, à la taille svelte et gracieuse. Sous de charmantes capotes de crêpe blanc, sous de légers chapeaux de paille se cachent les regards les plus doux, les traits les plus fins ; ce sont de ravissantes beautés de keepsake, des physionomies de roman, des chevelures ossianiques, des pâleurs byroniennes, un mélange délicieux de fragilité et de fraîcheur, de mélancolie et de jeunesse, à troubler la plus robuste raison. — Quel est le nom de ces femmes ? On voit bien tout de suite à leur tournure que ce sont des femmes comme il faut. — N’en jurez pas. — Mais enfin leur nom ? — Je ne le sais pas toujours ; elles le choisissent elles-mêmes, et elles en changent souvent. — Quoi ! ce sont des personnages fantastiques ? Mais elles ont aussi bonne façon que nos élé-