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LETTRES PARISIENNES (1844).

a pas. Chacun vous dira que dans le monde, cette année, il y a peu de très-jolies femmes, mais il y en a beaucoup de très-laides : c’est une compensation. L’aspect des théâtres est affreux ! Pendant l’hiver entier, le Théâtre-Italien, autrefois le rendez-vous des beautés à la mode, a été livré aux difformités de tous les pays. À la sortie du spectacle, dans le vestibule, on découvrait encore çà et là quelques charmants visages sous les capuchons de velours noir, sous les burnous de cachemire blanc ; mais dans la salle, ces rares beautés disparaissaient dans l’ombre que répandaient sur elles ces laideurs en majorité. Figurez-vous des rangées entières de vieilles femmes coiffées de turbans, et quels turbans ! Cela n’avait pas l’air d’une assemblée de dilettanti savourant une douce harmonie ; cela ressemblait à un tribunal de vieux cadis rendant la justice : c’était imposant, mais ce n’était pas beau. Du reste, dans la salle du Théâtre-Italien, on ne voit plus un jeune homme ; à peine quelque fils respectueux vient-il accompagner sa mère ; le balcon appartient à des hommes graves, l’orchestre à des hommes mûrs. Les jeunes gens n’aiment donc pas la musique ? Ils doivent l’aimer ; peut-être n’aiment-ils pas les vieux cadis !

À l’Opéra-Comique, les femmes ne sont pas plus jolies, mais elles sont moins parées : c’est toujours cela. Les turbans sont remplacés par ces bonnets trop longtemps à la mode, dits bonnets à la paysanne. La salle ressemble à un marché de fermières. Les jours où l’on donne l’amusant opéra de Cagliostro, ou bien la ravissante Sirène, le coup d’œil est assez agréable : toutes ces paysannes sont animées et souriantes : c’est joli. Mais quand on joue le Déserteur, toutes ces fermières qui sanglotent, ces trois cents Perrettes qui viennent de renverser leur pot au lait en même temps, c’est fort triste ; ce désespoir universel dans un village paraît exagéré.

Au Théâtre-Français, il n’y a que des étrangers et des gens de province ; chaque spectateur tient à la main la pièce qu’on joue. La reprise du Voyage à Dieppe fait fureur. Provost et Régnier sont admirables de naïveté et de verve ; ils excitent à chaque geste, à chaque mot, de formidables éclats de rire. L’École des femmes et la Critique de l’École des femmes, jouées avec la plus rare perfection, composent aussi un spec-