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LE VICOMTE DE LAUNAY.

primé les égouts. En effet, n’est-il pas indigne d’un gouvernement moral de conserver la direction de ces fleuves immondes ? et, d’ailleurs, dans ce beau siècle de libertés, n’est-il pas temps enfin de proclamer la plus belle de toutes : la liberté de la fange ?

Si nous parlons ainsi du jeu, c’est que jamais, à aucune époque, on n’a joué avec plus de fureur qu’aujourd’hui. La mode aussi est de boire follement, nouveau moyen de succès pour des joueurs habiles ; ils boivent de l’eau, et choisissent de préférence des adversaires favorisés de Bacchus. Par malheur, et grâce au progrès de la civilisation et de la chimie, on a trouvé des combinaisons savantes qui permettent de boire beaucoup sans trop se griser. Rien n’est plus perfide et plus fatal que cette étrange situation d’esprit où se trouvent plongés les vaillants buveurs de profession. C’est un juste milieu entre la veille et le sommeil, la raison et la folie, le jour et la nuit ; et pendant ce crépuscule de l’intelligence, on fait cent maladresses irréparables. On a juste ce qu’il faut de sang-froid pour accomplir des actions qu’on n’a plus assez de bon sens pour diriger. On peut marcher droit, mais on ne sait pas précisément où l’on va ; on peut jouer hardiment, mais on ne comprend plus bien le jeu ; on peut aller convenablement dans le monde, mais on n’y sait dire que des balourdises ; et comme on n’a pas l’air d’être gris, on a l’air bête, ce qui est bien plus fâcheux. Nous n’aimons pas du tout ces excellents buveurs.

— Vous aimez peut-être mieux les mauvais ?

— Oui, nous préférons de beaucoup ceux qui ne peuvent boire trois verres de vin sans tomber sous la table.

— Et pourquoi cela ?

— Parce qu’ils y restent. Un homme ivre n’est jamais plus à son avantage que sous la table du festin, que sur le pavé de la rue. C’est là sa place, c’est là qu’il saura se faire respecter ; car l’on n’a jamais le droit de blâmer ceux qui savent rester à leur place. Que vient-il faire dans nos salons ? Pourquoi troubler nos fêtes de ses préoccupations inquiètes ? Dans le monde, il est permis d’être dangereux ; mais périlleux, jamais.

Le jeu, le vin et les belles, la transition est naturellement trouvée. Nous voudrions vous parler des belles, mais il n’y en