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LETTRES PARISIENNES (1844).

avec bonheur, tant que la famille est complète ; mais, hélas ! quand au banquet de l’aïeule on compte des places vides, ce jour de fête n’est plus qu’un jour de deuil.

Notre fête de prédilection, à nous, c’est le dimanche des Rameaux, que l’on appelait autrefois Pâques demandé, et que l’on appelle encore Pâques fleuries. Nous ne saurions dire quel attendrissement presque puéril nous fait éprouver la vue d’une branche de buis bénit. À Rome, les rameaux sont des palmes, de véritables palmes que l’on fait venir par charretées des environs de Gênes. Dieu sait si nous aimons les palmiers, et quel profond respect nous inspire cet arbre biblique, ce panache sacré qui représente à lui seul toute la poésie de l’Orient ; et pourtant les souvenirs de l’enfance sont si puissants, que ces belles palmes romaines que le saint-père lui-même avait bénites nous ont produit peu d’effet, et que nous leur préférons mille fois la plus petite branche de l’humble buis parisien.

Dimanche dernier, les habitants de la grande ville semblaient tous penser comme nous. Les cochers des voitures publiques avaient orné les colliers de leurs chevaux d’un rameau bénit, les enfants avaient paré leurs chapeaux d’une légère branche de buis bénit, et les femmes en revenant de l’église rapportaient par ramées une provision de buis bénit, quelquefois trop forte pour leur petite main ; et chacun attachait une idée, une croyance, un souvenir, à cette palme bourgeoise qu’il allait suspendre près d’un objet révéré : celui-ci au-dessus du portrait de sa mère, celui-là (il faut bien le dire) au-dessus du portrait de Napoléon, celle-là au-dessus de son bénitier, celle-ci au-dessus de l’image de sa patronne. Quelle folie ! disent les philosophes. Pourquoi rendre un culte à ce vilain arbuste qui ne demande même pas de culture et qui n’est bon qu’à faire des peignes et des tabatières ! Car ils sont bien heureux, les philosophes ! ils ne doutent jamais d’eux-mêmes ; leurs superbes résolutions, leurs grandes pensées, sont toujours présentes à leur esprit ; ils n’ont pas besoin que les objets extérieurs viennent obligeamment les leur rappeler. À quoi bon l’image à ceux que n’abandonne jamais l’idée ? à quoi bon le souvenir sauveur à ceux que n’égare jamais l’oubli ? Nous l’avouons, nous n’avons pas cette force d’âme. Dans nos jours