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LE VICOMTE DE LAUNAY.

trahisons de ces ingrats, que l’on peut se permettre aujourd’hui de leur tendre la main cordialement et daigner encore paraître leur dupe jusqu’à son dernier jour ; confessions réparatrices où l’on restitue aussi quelquefois à de nobles cœurs mal jugés la place qu’on leur avait refusée, mais confessions mystérieuses, aveux sans contrôle, récits sans vérification dont on ne connaîtra jamais l’effet, dont on ne peut rectifier l’erreur, dont on ne prévoit que le danger. Nos Mémoires, à nous, seront écrits hardiment, loyalement, à la face du pays, à la vue de nos contemporains, et ils seront rectifiés, purifiés, clarifiés, par leur prompte et immense publicité. Nous ne nous cacherons point pour aller dans l’ombre consigner les travers et les ridicules du jour ; nous dirons avec naïveté à notre temps : Nous avons l’audace de te juger ; eh bien, punis tout de suite cette audace, et sois toi-même juge de nos jugements.

Maintenant on comprendra, avec de telles idées, combien nous devons rire de ce grand tapage d’effroi que font autour de nous toutes ces femmes ignorées qui s’alarment si présomptueusement de nos récits. Nous avons toujours évité de parler des inconnus, d’abord parce que nous n’en avons pas le droit, ensuite parce que ces indiscrétions n’auraient eu aucun intérêt pour nos lecteurs ; mais, à présent que nous rêvons d’avenir, nous éviterons encore bien davantage les personnalités du moment, les allusions de circonstances ; car, avant, six mois, elles n’auraient plus aucun sens, et il nous faudrait les supprimer ; nous ne devons retenir que les noms illustres, les grandes célébrités en tout genre, les hautes positions ; c’est là notre domaine, et nous trouvons plaisant que tant de médiocrités obscures affectent la prétention de nous craindre, quand il est notoire que nous ne nous occupons jamais que des supériorités lumineuses.

Ainsi, par exemple, nous avons le droit de dire qu’au dernier bal de telle ambassade, tout le monde admirait les traits nobles et purs, la taille imposante de madame la comtesse de Beau…, nièce de M. de Chateaubriand. De tout temps, l’apparition d’une femme idéalement belle sera un événement pour les artistes, pour les poëtes, même pour les simples badauds, et il nous est permis de parler de cet événement et de pro-