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LETTRES PARISIENNES (1844).

tentions au rôle important qu’elles voulaient jouer ; elles ont voilé leur supériorité réelle sous une futilité volontaire, exagérée, insupportable ; et elles ont ainsi rassuré leurs tyrans, ou plutôt leurs rivaux, qui, les voyant si folles et si légères dans leurs plaisirs, ne se sont pas aperçus qu’elles étaient plus que jamais ambitieuses et profondes dans leurs desseins.

Elles ont dansé pour cacher qu’elles pensaient ; elles ont déraisonné pour cacher qu’elles devinaient ; il y en a même qui ont fait semblant d’aimer pour cacher qu’elles jugeaient ; elles ont volé le sceptre et l’ont caché sous des chiffons, et, comme elles étaient bien soumises, on les a laissées régner.

Ce fut un travail merveilleux et tant soit peu diabolique ; mais un vieux philosophe de nos amis prétendait que toute Française était plus ou moins douée d’une certaine dose d’infernalité. « Elle n’a pas, ajoutait-il, précisément fait ni signé de pacte avec Satan ; oh ! non, une Française ne se compromettrait jamais jusqu’à lui laisser de son écriture ; mais il s’occupe d’elle, et elle est en coquetterie avec lui. Sans le bien traiter elle l’écoute, et s’il n’en conçoit pas de fatuité, ce qu’un homme ferait à sa place, c’est que la fatuité est une espérance, et que Satan habite un royaume où, le Dante l’a dit, on n’espère plus ! »

Voilà comment les Françaises sont parvenues à détruire les effets de la loi salique. Ce résultat était glorieux ; il y a quelques années, les bas bleus ont failli tout perdre. Les insensés !… ils s’étaient révoltés, ils avaient proclamé la femme libre ; ils avaient demandé des droits, de l’air et de l’encre pour tous !… Et les femmes ne dansaient plus ! et leur influence de jour en jour s’effaçait.

Heureusement, la polka vient de les sauver ; les Françaises reprennent leur futilité : elles vont retrouver leur empire.

Certes, cela doit paraître absurde d’éventer ainsi un complot quand on s’intéresse à sa réussite. Publier dans un journal très-répandu un moyen de ruse dont la force est dans le mystère, c’est imprudent ; avertir le gibier de la place où l’on va poser le piège, c’est maladroit. Cette recommandation-là ne se trouve dans aucun Manuel des chasseurs Eh bien, les Français sont de si… bons enfants, qu’une telle imprudence est sans