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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Quand la femme d’un vieux maréchal goutteux vient à mourir, toutes les jeunes filles qui ont de belles dots en s’éveillant pensent à lui… Madame la maréchale !… pour une âme tendre, ce mot est doux.

Les Français sont généreux et capables de nobles folies ; ils ont une bonté de cœur admirable. Les Françaises n’ont pas le cœur aussi bon, mais elles font beaucoup de bien et rendent de grands services pour constater leur influence et conserver leur clientèle.

Plus une Française est jeune, plus elle est ambitieuse et intéressée.

Une Française sincère n’a pas une pensée généreuse avant trente ans ; à cet âge, elle s’interroge, elle se demande si elle ne s’est pas trompée de route, si les douces affections ne valent pas mieux que les hautes positions ; elle a un éclair de sensibilité, elle entrevoit, comme nous l’avons déjà dit ailleurs, les vanités de la vanité ; elle consent à faire une expérience de cœur, elle se hasarde, elle se risque à aimer : mais cet essai n’est pas de longue durée ; bientôt elle retombe dans la vérité de son caractère, elle revient à sa nature, et, après s’être faite la tendre protectrice de quelque jeune inconnu, elle se fait la gouvernante de quelque vieillard en crédit, pour retrouver plus promptement son importance perdue ; elle expie enfin par des années de raison et d’orgueil une heure folle d’amour.

Mais là aussi il y a des exceptions… Sans doute, il y a d’abord les femmes qui, ayant de l’importance par elles-mêmes, n’ont pas besoin, pour en obtenir, de sacrifier leurs affections ; mais on ne peut pas savoir si elles auraient été généreuses dans la nullité, ni ce qu’elles auraient fait pour acquérir de l’importance si elles n’en avaient pas eu déjà par leur position ou par leur talent.

Certes, il a fallu aux femmes une bien grande habileté pour arriver à cette influence, malgré tant d’obstacles, malgré ces lois faites contre elles, malgré les craintes soupçonneuses des hommes, si jaloux de leur autorité. Elles ne sont parvenues à prendre cet empire qu’à force de duplicité et d’innocente hypocrisie ; elles se sont résignées ; elles ont accepté avec douceur le rôle modeste qu’on leur imposait, pour déguiser leurs pré-