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LETTRES PARISIENNES (1844).

Il faut, pour y parvenir, une force que les femmes n’ont point. En cela, comme en tout, les hommes leur seront toujours supérieurs.

Aussi, quand nous disons que les Françaises ont plus d’esprit que les Français, ne prétendons-nous pas donner l’avantage aux unes sur les autres ; nous voulons seulement dire qu’en France il y a plus de femmes spirituelles que d’hommes spirituels : c’est une question de nombre. Mais cela suffit pour expliquer l’immense influence des femmes dans ce pays, où elles ont si peu d’autorité, où elles ne sont rien, et où tout se fait par elles et pour elles. Il n’existe pas un homme à Paris, en province, qui n’agisse par la volonté d’une femme, ou fatalement ou à son insu. Presque tous les actes de nos hommes politiques répondent à des noms de femmes. À Paris, tous les gens importants sont menés par une intrigante de leur société ; en province, l’influence est légitime. Nous avons habité pendant six mois une petite ville de la Touraine : là, tous les maris étaient menés par leurs femmes, excepté un, un seul, qui était mené par la femme d’un autre.

Après tout, ce que nous disons là n’est pas à la louange des Françaises ; elles n’ont à un si haut degré les passions de l’esprit que parce qu’elles n’ont pas les autres ; si elles avaient plus de sentiments, elles auraient moins d’idées ; si elles avaient plus d’amour, elles auraient moins d’ambition ; mais ce sont d’étranges personnes : les Françaises ont une imagination dévorante et une nature froide, une vanité folle et un cœur plein de bon sens.

L’ambition, c’est toute leur vie ; avoir de l’importance, c’est tout leur rêve. L’amour n’est pour elles qu’un succès ; être aimée, c’est seulement prouver que l’on est aimable.

L’unique passion qu’elles puissent ressentir et comprendre, c’est la passion de la maternité, parce que l’amour maternel est une ambition sainte, un orgueil sacré.

Ce qu’il y a de plus rare en France, après une femme bête, c’est une femme généreuse. Il n’y a point d’exemple d’une riche héritière qui ait choisi un jeune mari, parce qu’il était séduisant et beau ; celle-ci a voulu être ambassadrice, celle-là a voulu être duchesse.