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LETTRES PARISIENNES (1844).

vous les femmes qui font des tragédies ? » Nous répondrons que si elles font des tragédies féminines, elles sont dans leur droit ; qu’une femme, sans présomption ridicule, peut bien célébrer, dans un drame ou dans un poëme, l’action héroïque qu’une autre femme a eu le courage d’accomplir. Il y a même des héros qui, par leur faiblesse, ont mérité d’être illustrés par une femme : c’est leur châtiment. Sans doute l’Antoine de Rome vengeant César appartient au plus mâle génie ; mais l’Antoine d’Égypte adorant Cléopâtre est une proie naturelle pour l’imagination d’une femme ; elle doit laisser, par respect, le vainqueur de Philippes à Shakspeare ; mais, convenez-en, le fuyard d’Actium lui revient. Ainsi plus d’un événement dans l’histoire appartient à ce que nous appellerons l’art féminin ; car il mérite d’être reconnu et défini. Croyez-vous, par exemple, qu’une œuvre littéraire qui serait parmi les créations de l’intelligence ce qu’est la femme parmi les êtres de la création divine ne serait tout simplement qu’une chose admirable ? Eh bien, n’est-il pas permis d’essayer de la créer, et si l’on parvenait à former cette belle femme littéraire, ne vaudrait-elle pas à elle seule toute une bibliothèque de livres nains, difformes et masculins ?

Nous mettons donc hors de cause les hommes d’esprit et les femmes d’esprit, et nous disons qu’en général les Françaises ont plus d’esprit que les Français. De là vient que, depuis la conquête des Gaules par les Francs, la guerre est déclarée entre les hommes et les femmes de notre belle patrie.

Tout Français déteste la femme qu’il aime.

Toute Française considère l’être adoré comme son plus mortel ennemi ; inquiète et soupçonneuse, elle est toujours auprès de lui comme l’Arabe dans le désert : il se repose un moment sur le sable, mais en gardant à ses côtés un fusil armé pour la défense, un cheval sellé pour la fuite.

Entre un Français et une Française, l’amour n’est qu’une hostilité déguisée, un moyen commode d’espionnage certain ; c’est la lutte harmonieuse de deux tyrans jaloux l’un de l’autre, c’est l’accord perfide de deux conquérants rivaux qui rêvent chacun la victoire et la domination personnelle. Et la preuve que cet amour est de la haine, c’est la joie que ces tendres