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LETTRES PARISIENNES (1844).

de la chevalerie ; elles ne doivent briller que de reflets ; la loi salique les atteint partout, vous le savez bien ; ne rêvez donc pas de les y soustraire : les exceptions sont dangereuses ; elles détruisent l’harmonie, elles provoquent les espérances folles ; elles retardent, pour les opprimés, l’heure bienfaisante, l’heure fortunée, l’heure de la résignation, cette grande force des victimes… Résignation ! mot sublime qui signifie tant de choses : secret découvert, trésor trouvé, moyens ingénieux, ressources inespérées, rôle accepté, travail souterrain, trappes, échelles de soie, portes murées, glaces tournantes, lanternes sourdes, tapis muets, guerre intime, puissance voilée, foi profonde, orgueil ténébreux, modestie implacable, gracieuse haine, mépris doucereux, vengeance câline, ressentiment éternel ; voilà ce que signifie chez les femmes le mot résignation. Vous comprenez combien il est important pour elles d’être promptement et complètement résignées.

Du jour où une femme a prononcé ce mot terrible : « Que voulez-vous, il a bien fallu se résigner !… » tremblez… si vous êtes son mari ou son tyran. À dater de ce jour, décachetez sa correspondance, interrogez tous les tiroirs de sa commode, de son secrétaire, de sa table à ouvrage ; ne dormez plus que d’un œil, et refusez toute boisson acidulée.

Ô galants législateurs ! ne touchez pas à la loi salique, c’est une sage loi qu’il ne faut vouloir abroger dans aucun de ses articles. Bien loin de la maudire, les femmes doivent l’aimer pour ce qu’elle a de flatteur dans son humilité naïve. Ne vous êtes-vous jamais demandé comment il se faisait que le peuple de France, peuple de troubadours et de paladins, l’esclave de l’amour, le défenseur de la beauté, fût précisément le seul qui ait pensé à exclure à jamais les femmes de la succession au trône et à leur ravir toutes les dignités de la noblesse et de la littérature ? Comment ce peuple adorateur des dames a-t-il pu imaginer un arrêt cruel contre les femmes ? Peut-on concilier tant de courtoisie dans les mœurs avec tant de malveillance dans les lois ? Quelle est donc la cause de cette contradiction inexprimable ?

— L’envie.

— Les hommes sont envieux des femmes ?