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LE VICOMTE DE LAUNAY.

LETTRE TROISIÈME.

Les femmes à l’Académie. — Pourquoi pas ? Parce que les Françaises ont plus d’esprit que les Français. — La loi salique. — Son origine. — On ne fait des lois contre les loups que dans les pays où il y a des loups. — On ne fait des lois contre l’ambition des femmes que dans les pays où l’ambition est la passion des femmes.
23 mars 1844.

Depuis dix jours Paris est tout occupé des nouvelles élections de l’Académie ; il nous faut donc bien vous parler de l’Académie ; permettez-nous de vous soumettre quelques idées assez étranges qui nous sont venues à propos d’elle.

À chaque nouvelle candidature académique, les divers galants admirateurs de nos diverses femmes célèbres répètent en chœur et comme un refrain cette même charmante flatterie : « Mais c’est vous, madame, c’est vous qui devriez vous mettre sur les rangs !… »

Aussitôt un académicien quelconque se hâte de reprendre : « Madame, je vous promets ma voix. » Puis, après un gracieux ou affreux sourire, selon ses moyens, il ajoute : « Sérieusement, pourquoi n’y aurait-il pas à l’Académie française deux fauteuils réservés pour des femmes, pour madame Sand et pour madame une telle ?… » Dans chaque salon on dit un nom différent… Pourquoi les femmes d’un grand talent ne seraient-elles pas de l’Académie ?… Pourquoi ? nous allons vous le dire :

Parce que ce serait une anomalie, une inconséquence, une chose ridicule et contre vos mœurs. Nous vous demanderons à notre tour : « Pourquoi donc les femmes auraient-elles un fauteuil dans un pays où elles ne peuvent avoir un trône ? Pourquoi voulez-vous leur octroyer la plume, quand vous leur avez refusé le sceptre ? Pourquoi, lorsqu’elles ne sont rien par leur naissance, seraient-elles quelque chose par leur génie ? Pourquoi leur reconnaître un privilège quand on leur a dénié tous les droits ? Une femme, en France, ne peut être duchesse ou comtesse qu’en épousant un duc ou un comte ; eh bien, elle ne doit être académicienne qu’en épousant un académicien. Toute dignité personnelle est interdite aux femmes dans ce beau pays