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LETTRES PARISIENNES (1844).

beaucoup n’est pas exact, car on ne l’est qu’un peu. Il faut plutôt dire : Beaucoup de gens se font un peu dominicains : il y a des demi-dominicains, des tiers de dominicain, des quarts de dominicain ; il y en a même qui ne sont pas du tout dominicains, tant la dose est légère, un dix-millionième tout au plus. Or cette manière de l’être n’empêche pas d’être autre chose : on est dominicain et maître de piano, dominicain et maître de dessin, dominicain et notaire, dominicain et homme du monde ; on joint aux austérités de l’ordre les agréments de la vie parisienne ; on se mortifie et on se divertit ; on se repent et on recommence ; on expie le matin les peccadilles que l’on espère bien commettre le soir. Le dominicain dissipé est une nouveauté de notre époque qui pourrait bien la caractériser. Aujourd’hui on est prude, mais on n’est pas hypocrite ; on déteste le mal, mais c’est quand on ne le fait pas. Bref, les dominicains abondent, on en voit partout ; il y en avait deux l’autre soir au bal de la préfecture ; il y en avait trois hier à l’Ambigu-Comique.

Est-ce que c’est bien respectueux de mêler ainsi les idées religieuses aux pensées mondaines ? Est-ce que c’est aussi de bon goût pour une femme de parler toute la soirée dans un salon du sermon qu’elle a entendu le matin à l’église ? « Je n’ai pas été contente de M. l’abbé de ***. — Moi, j’ai été enchantée de M. l’abbé de R… — Est-ce que vous aimez la manière de prêcher de l’abbé G… ? — Non, je n’aime que les sermons de notre curé. — Est-ce vrai que M. l’abbé P… a tonné contre la valse à deux temps ? — Oui, madame ; il a dit qu’il ne comprenait pas qu’une mère fût assez imprudente pour permettre à sa fille cette indigne valse, qu’un mari fût assez imprudent pour la permettre à sa femme… » Et l’on cause ainsi les épaules nues, l’éventail à la main, devant des jeunes hommes avec qui l’on a valsé il y a trois semaines cette même valse à deux temps, avec qui l’on compte bien valser encore après Pâques. Nous approuvons peu ces conversations de salon sur les sermons de la semaine ; de toute manière, ce qu’on en dit est déplacé. Si le sermon était médiocre, la satire qu’on en fait est inconvenante ; la critique littéraire doit s’arrêter devant les prédications religieuses et les respecter. Si le sermon était