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LE VICOMTE DE LAUNAY.

nesque ; mais celui-là était facile à retrouver : on avait la tradition.

Cependant tout le monde ne partage pas notre goût pour les évanouissements : les cantatrices, dont ils interrompent les points d’orgue ; les orateurs, dont ils suspendent les discours ; les bavards, dont ils éteignent les bons mots ; les maîtresses de maison, dont ils bouleversent les fêtes et quelquefois le mobilier, se plaignent avec amertume de ces innocentes comédies. Nous croyons leur rendre service en leur indiquant un moyen de faire cesser à l’instant même un évanouissement infiniment trop prolongé.

Madame de X… a dîné jeudi chez madame Z… Elle a fort bien dîné. En sortant de table, elle a jugé à propos de s’évanouir. Bon ! On l’a transportée sur le lit de la maîtresse de la maison, où elle est restée immobile ; on a coupé sa ceinture… on lui a fait respirer des sels… tout a été inutile… Madame de X… restait toujours sans mouvement sur ce lit élégant tout paré de soie et de dentelles. Un méchant prétendait que cet évanouissement n’était qu’un ingénieux moyen de faire la sieste ; il offrait d’aller s’évanouir sur un canapé dans le salon voisin. La maîtresse de la maison commençait à s’ennuyer de s’occuper si longtemps de la même personne ; l’ennui la rendit malicieuse, et pour tendre un piège à la belle évanouie, elle hasarda ces simples mots : « Savez-vous ce qui la rend malade ? Ses cheveux sont trop serrés, il faut les dénouer » Ces paroles furent magiques : oubliant tout, et par un mouvement involontaire, l’évanouie porta vivement ses deux mains sur sa tête pour défendre ses deux fausses nattes contre toute agression révélatrice ; et, feignant de revenir à elle : « Où suis-je ? dit-elle d’une voix éteinte. — Chez moi, lui répondit son amie ; mais votre voiture est arrivée, et dans cinq minutes vous serez chez vous. » — Moralité de cette histoire : l’évanouissement factice exige une chevelure sincère.

Vous serez bien étonnés quand nous vous dirons que ce qui est aussi fort à la mode en ce moment, ce sont les dominicains. Nous sommes fâché d’unir ces deux mots : mode et dominicains, indignés de se trouver ensemble ; mais la vérité nous y force. Depuis quelque temps on se fait beaucoup dominicain ;