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LETTRES PARISIENNES (1844).

promettent, aux yeux des étrangers, l’intacte réputation de la France.

— Ah ! tous roulez parler de nos ministres ?

— Eh non ! il ne s’agit pas de nos ministres, nous sommes pour eux à peu près comme la Chambre, qui les déteste et qui cependant les préfère ; leurs avides rivaux les font paraître aimables ; en fait de fidélité patriotique et de dignité nationale, les accusateurs sont tout aussi coupables que les accusés, et l’on est tenté de leur répéter cette belle parole de l’Évangile : « Que celui de vous qui se croit sans péché leur jette la première pierre. »

— Mais alors qui donc voulez-vous combattre et poursuivre ?

— Ces horribles petits chapeaux qui sont à la mode depuis un mois… nous les attaquons hautement avec une indignation légitime. Vous riez… mais ce n’est point une haine insensée, une fureur puérile qui nous enflamme ; c’est une inspiration prophétique, un instinct sacré. Le péril est grave ; il s’agit d’une question d’économie politique des plus importantes : tout l’avenir de notre commerce y est intéressé… Oui, sans doute, malgré l’attitude mélancolique de nos ministres vis-à-vis de l’étranger, malgré la désinvolture de notre administration intérieure, la France a conservé encore une suprématie ; elle règne encore sur le monde par son élégance et par son bon goût, et c’est un avantage qu’il faudrait au moins lui conserver. Eh bien, ces affreux petits chapeaux, ces coiffures grotesques de singe civilisé, ces assiettes à soupe de crêpe blanc ornées de plumes sans nom, ne tendent à rien moins qu’à lui faire perdre le sceptre de la mode, que depuis tant de siècles elle a glorieusement porté.

Que direz-vous, jeunes marquises italiennes aux yeux noirs, aux traits nobles et réguliers, au port majestueux, statues vivantes que les rayons du soleil ont dorées, que direz-vous en voyant ces affreux petits chapeaux sortir de la caisse parisienne si impatiemment attendue ? Vous direz : « C’est une coiffure de poupée ! je n’en veux pas. »

Et vous, rêveuses baronnes allemandes aux blonds cheveux, aux yeux d’azur, au maintien naïf, au triste sourire, ballades vivantes nourries de marguerites et de vergissmeinnicht, que