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LE VICOMTE DE LAUNAY.

— Comme vous parlez de tout cela doucement !

— Je suis philosophe. »

La grande fête donnée aux Tuileries était un superbe combat à l’éventail et à l’épée ; les amazones se sont conduites bravement. La cohue était épouvantable, mais le coup d’œil était magnifique. Ce n’est pas la faute du roi si sa cour est trop nombreuse, c’est la faute de notre temps ; cela tient au progrès de l’égalité. On n’était admis qu’en habit habillé ou en uniforme. Ce jour-là aussi a eu lieu un dialogue bizarre que l’on nous a rapporté. Un étranger de distinction, s’adressant à son voisin, lui dit : « Pardon, monsieur, veuillez me permettre de vous adresser une simple question : Les hommes qui ont été ministres une fois ont-ils le droit de porter toujours leur habit de ministre ?

— Non, monsieur. Qu’est-ce qui vous fait croire ça ?

— C’est que, depuis une heure que je suis au bal, j’ai vu passer plus de soixante ministres.

— C’est beaucoup ; nous n’en avons pas tant. Nous en avons ordinairement huit, quelquefois seize dans les moments de crise, les sortants et les rentrants ; mais jamais plus. Quels personnages prenez-vous donc ici pour des ministres ?

— Mais, par exemple, le personnage qui vient à vous.

— Ça ! un ministre ? Eh ! c’est Buchon.

— Quoi ! le célèbre Buchon, le savant ?

— Oui, l’historien, le voyageur ; enfin, Buchon.

— Voyez, il a un habit de ministre…

— Dites un habit de fantaisie. Le fait est que ces habits-là, justement parce qu’ils sont de fantaisie, sont beaucoup plus riches et beaucoup plus brodés que ceux de nos ministres et de vos ambassadeurs.

— Je vous remercie, monsieur. Dorénavant je tâcherai de ne plus confondre les ministres avec les fantaisies. »

Peu à peu, le carnaval s’est animé, et l’heure des bals costumés est venue. Cette année, on a signalé une innovation : les dîners déguisés, les soupers déguisés, sans calembour ; ce sont les convives qui étaient déguisés, et non les mets. Plusieurs de ces repas ont été fort joyeux.

Dans le monde artiste, le carnaval a été ce qu’il y est tou-