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LETTRES PARISIENNES (1842).

— Vraiment ! il ne manquait plus que cela, académiser le Vaudeville ! ce serait un crime impardonnable, un crime de lèse-hilarité que nous ne laisserons point commettre. Que l’Académie s’abaisse jusqu’aux flonflons, libre à elle ; mais Arnal, le grand Arnal, saura se faire respecter.

— Décidément, aimable vicomte, vous êtes devenu insupportable…

Nous en étions là de notre querelle lorsqu’on annonça un auteur dramatique célèbre.

— J’arrive de l’Odéon, dit-il ; savez-vous que l’Odéon est tout à fait à la mode ?

— Eh bien, qu’avez-vous vu à l’Odéon ?

— J’ai vu un ancien sous-préfet.

— Nous ne vous demandons pas qui vous y avez rencontré ; nous vous demandons ce que vous y avez vu jouer.

— Je vous le dis, j’ai vu un ancien sous-préfet jouant Orosmane dans Zaïre.

— Quelle bonne plaisanterie !

— Ce n’est pas une plaisanterie ; M. Hippolyte Bonnelier, ancien sous-préfet de Compiègne, a débuté ce soir à l’Odéon.

— Vous confondez. Il y a plusieurs personnes de ce nom. Il y a d’abord le romancier, dont les ouvrages sont très-intéressants.

— Non… Le romancier, le sous-préfet, Orosmane, c’est le même.

— Et le ministre de l’intérieur laisse débuter sur un théâtre un de nos anciens magistrats ! Vous avouerez, cette fois, que c’est d’une haute inconvenance ?

— Je ne vois pas ce qu’il y a d’inconvenant là dedans ; un sous-préfet qui passe sultan, c’est très-flatteur pour l’administration. Et, d’ailleurs, comment empêcher cela ?

— Il y a mille moyens. Un auteur ne se décide à débuter que lorsqu’il y est forcé par les circonstances. On n’apprend pas les vers d’Orosmane pour son plaisir ; et lorsque les ministres se sont trompés au point de choisir pour sous-préfet un homme que tourmente une vocation théâtrale, ils se doivent de réparer cette erreur en la cachant à tout prix. Vous voulez faire respecter le pouvoir, faire honorer vos fonctionnaires :