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LETTRES PARISIENNES (1842).

années entières ; c’est que, pour mener cette existence toute factice et tout exceptionnelle, il faut une facilité d’hypocrisie, une agilité de niaiserie, une routine de vanité, que l’habitude du monde peut seule donner et que dans la retraite on a bientôt perdues ; c’est que, pour comprendre l’élégant argot des salons, il faut l’avoir parlé la veille ; c’est que, pour apprécier, pour saisir toutes ces nuances de prétentions, toutes ces variétés de ridicules, il faut les avoir suivies dans leurs changements et dans leurs progrès ; c’est qu’il faut enfin, pour voir juste dans toutes ces choses artificielles, n’avoir pas le regard faussé par la contemplation de la nature, l’esprit corrompu par l’étude de la vérité !

Aussi, depuis notre retour, nos étranges étonnements nous ont-ils attiré de la part de nos amis bien des querelles. On nous accable d’injures, on nous traite de philosophe, de puritain, de sauvage, de paysan du Danube, d’Épiménide ! À chaque question qui nous échappe, à chacune de nos observations, on se récrie : « D’où sortez-vous ? quelles folles idées ! on ne peut plus causer avec vous !… » Et ce sont à tout moment des discussions interminables. Le moindre mot suffit à ces querelles. L’autre soir, Un jeune diplomate arrive un peu tard dans une réunion où on l’attendait ; on se plaint, il s’excuse.

— Je viens de chez madame de X…, dit-il, je me suis oublié à écouter M. *** ; il contait des nouvelles fort intéressantes qu’il venait de recevoir d’Orient.

— Ah ! M. *** était ce soir chez madame de X… ?

— Vous êtes charmant avec vos airs étonnés ; il y était ce soir comme il y était ce matin ; il y va deux fois par jour.

— Je savais bien qu’il était de ses habitués, mais je pensais que sa position avait dû ralentir ses assiduités.

— Quelle folie ! vous voulez donc qu’on se brouille avec tous ses amis dès qu’on arrive au pouvoir ?

— Non ; mais il me semble que lorsqu’on est appelé à l’honneur de diriger les affaires de son pays, on ne doit point affecter de si bien s’entendre avec les personnes qui, à tort ou à raison, passent pour faire les affaires des autres pays, des pays rivaux.

— Vous n’aimez pas les femmes politiques ?