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LETTRES PARISIENNES (1841).

déjà dit, c’est la saison des vérités, et ce serait une idée heureuse pour une personne méfiante qui désirerait connaître la sincérité d’un caractère, que de revenir ici après une courte absence et d’y rester quelques jours incognito. Rien qu’à voir marcher les gens que l’on voudrait observer, on devinerait leur véritable pensée, on saurait jusqu’à quel point ils se métamorphosent pour vous plaire ; on verrait enfin comment ils sont loin de vous et loin de ceux qu’ils ont intérêt à captiver. Cette épreuve serait terrible… Qui sait ?… peut-être que non : dans ce pays, où les prétentions gâtent le naturel le plus gracieux, on n’est jamais plus aimable que lorsqu’on ne cherche pas à l’être ; peut-être que c’est au contraire la peine que l’on se donne pour séduire qui empêche d’être séduisant ; cela expliquerait le plaisant désespoir de ce spirituel infortuné qui s’écriait un jour, en parlant de ses succès auprès des femmes : « Ah ! si la femme que j’aime pouvait me voir auprès de celles que je n’aime pas, comme elle me trouverait charmant ! Je ne suis jamais aimable que quand je ne veux pas plaire… j’ai du malheur ! »

Vers cinq ou six heures, Paris se réveille un peu, et quelques élégants daignent se montrer çà et là. Les personnes qui reviennent de la campagne, pendant la semaine, n’ont rien de champêtre dans leur conversation. « Qu’avez-vous fait ? — Nous avons joué au whist… » C’était bien la peine d’aller à la campagne pour ne goûter que ce plaisir-là ! On parle aussi de quelques accidents arrivés sur les chemins de fer par l’imprudence des voyageurs. Dernièrement, l’un d’eux s’obstinait à sortir la tête et le bras hors du wagon : « Monsieur, lui dit un employé, prenez garde ; le convoi de retour, en passant, peut vous heurter et vous broyer le bras ou la tête. — J’ai payé mes trente sous, dit le stoïque voyageur, j’ai le droit de faire ce que je veux ; vous n’avez rien à me dire… » Que voulez-vous qu’on fasse avec des voyageurs spirituels comme ceux-là ? S’il n’arrive pas plus d’accidents, c’est un miracle. Nous disions l’autre jour que notre éducation parlementaire n’était pas encore faite ; il nous semble que notre éducation industrielle est encore moins avancée. Que de temps et de malheurs ne faudrait-il pas avant de faire comprendre à ces