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LETTRES PARISIENNES (1840).

les autres passent en calèche, avec des chapeaux couverts de fleurs et des écharpes éblouissantes ; celles-ci viennent à cheval, leur regard est brillant, leur teint est animé ; celles-là apparaissent à leur fenêtre, leur regard est languissant, leur front est pâle, elles ont un petit air ennuyé qui est charmant. Ceux qui n’ont point vu Paris au printemps ne connaissent point Paris.

Des jolies femmes aux modes nouvelles la transition est naturelle. Or, depuis quelque temps, il se dit à propos de modes des choses si étranges dans tous les journaux, que nous devons faire valoir notre droit de haute critique. On nous a parlé l’autre jour d’une certaine dame de B…, qui était à Longchamp, parée d’une jupe bleu de ciel avec deux volants de cinquante centimètres de haut, le second volant était monté avec la ceinture de la jupe (cachucha pure). Ce n’est pas tout : cette élégante avait encore un canezou de mousseline brodée avec manches à bouillons (à Longchamp !) et des mitaines noires (à Longchamp !). — Eh bien, oui ! cela est exact ; mais on a oublié de vous dire que cette femme si coquettement parée était en milord découvert ; elle causait assez vivement avec le cocher, qui paraissait n’être pas de son avis. Ceci n’est sans doute qu’un détail insignifiant, mais il fait comprendre les autres.

Parler de modes est, selon nous, ce qu’il y a de plus difficile, surtout quand on veut dire ce qu’on voit. Pour être exact, il faut faire souvent des descriptions épouvantables. En ce moment, par exemple, on porte une étoffe couleur lie de vin qui est affreuse, jointe aux écharpes écossaises et aux chapeaux lilas. C’est un mélange agaçant de couleurs ennemies qui fait grincer les yeux, comme dit si plaisamment madame de V…

Les rubans à la mode pour ceinture sont d’un zinzolin très-pastoral. Ce sont des tissus roses chinés de bleu, roses rayés de gris, roses tigrés de vert ; ils rappellent les beaux jours des bergères de Florian. Némorin a dû demander beaucoup de ces rubans-là ; et nous comprenons qu’Estelle les ait sacrifiés sans peine. Ils sont moins jolis que ceux d’il y a quelques années ; cependant ils ne manquent pas de coquetterie, et ils sont assez avantageux.