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LETTRES PARISIENNES (1841).

leurs bras dépouillés de franges pour satisfaire à ce besoin de passementerie, qui se fait si généralement sentir en ce moment chez toutes les couturières ! Comme on reconnaît bien que c’est le soleil qui inspire les esprits ! En fait de parure comme en toutes choses, on a bien plus d’idées l’été que l’hiver. Quand il fait froid, que peut-on inventer de coquet ? rien ; on se cache sous un manteau, c’est tout ce que l’on peut faire. Mais quand on croit qu’il fait chaud, on est poursuivi de mille rêves enchanteurs ; on prépare de grands effets, on évoque toutes sortes de friperie ; on taille, on coupe, on rassemble, on sépare mille objets, étonnés de se quitter ou de s’unir. Grâce à la mode des manches courtes, les plus vieilles robes sont les plus parées ; grâce à la fantaisie des spencers, il n’est plus de douillette fanée qui n’ait encore un avenir. Le canezou est une belle fin pour une jupe d’organdi qui a eu des malheurs…. Mourir autour d’une capote, pour une pèlerine de tulle éraillé, c’est bien mourir !… Oh ! que les parures inspirées par les caprices de l’été sont ingénieuses et variées ! Dans ces deux seuls jours de promenade nous avons remarqué ces trois choses étourdissantes :

Un spencer de gros de Naples lilas, garni de franges vertes, sur une robe de mousseline de laine bleue garnie de franges noires ; — une écharpe écossaise faite avec des rubans de toutes nuances cousus ensemble ; — des guêtres de coutil sur des pantoufles en tapisserie.

Nous ne parlerons pas des bouquets fantastiques et menaçants, aux fleurs nerveuses, au feuillage convulsif, qui se voient sur toutes les têtes pendant la belle saison, plantes imaginaires qui viennent narguer les plantes véritables et qui composent ce qu’on appelle, dans le commerce, la flore de province ; ces étrangetés sont connues de vous : nous tenons seulement à constater le changement inouï qui s’est fait à Paris depuis quinze jours, afin que les étrangers qui s’y trouvent n’aillent pas s’imaginer de nous juger à jamais sur ce moment exceptionnel ; nous voulons seulement protester contre cette population inconnue qui n’est point parisienne et qui compromet Paris. Nous devons dire aussi que les Parisiens eux-mêmes, en cette saison de rêveries champêtres, ont des manières fort sin-