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LETTRES PARISIENNES (1841).

Partie de campagne savamment combinée par de jeunes amateurs de chemins de fer. — Ils sont partis à six heures du matin ; ils sont allés déjeuner à Corbeil ; ils sont revenus à Paris. Vite ils sont repartis pour Versailles par le chemin de fer de la rive gauche ; à Versailles ils ont déjeuné une seconde fois, plus sérieusement ; après déjeuner, ils ont pris le chemin de fer de la rive droite jusqu’à Asnières ; de là ils sont allés dîner à Saint-Germain, d’où ils sont revenus pour souper à Paris. Quatre repas, quatre chemins de fer, c’est très-bien, et environ quatre-vingt-dix kilomètres en quatre heures, c’est encore mieux.

Paris devient tout à fait désert ; il n’y a qu’une manière agréable de l’habiter, c’est de n’y pas séjourner. En le quittant tous les matins pour n’y revenir que le soir, on y passe l’été avec assez de plaisir. C’est un moyen ingénieux d’être à la campagne sans avoir les ennuis de l’établissement et du déménagement.


LETTRE DIX-SEPTIÈME.

Paris, le 15 juillet. — L’hiver est la saison de l’hypocrisie ;
l’été, c’est la saison des vérités.
18 juillet 1841.

C’est un phénomène des plus étranges, que nous n’avions jamais remarqué. Avant-hier, pour la première fois de notre vie, nous avons été appelé à l’observer, et nous ne sommes pas encore revenu de notre étonnement. Paris, le 15 juillet, est un séjour fantastique s’il en fut jamais. Les gens qui habitent ce séjour sont des êtres sans nom, qui n’appartiennent à aucun pays, à aucune nation, à aucune classification ; ce ne sont pas des Parisiens, ce ne sont pas des provinciaux, ce ne sont pas des étrangers ; ils n’ont ni l’élégance de ceux-ci ni l’originalité de ceux-là ; ce sont des figures qui n’ont aucune espèce d’expression, des tournures qui n’ont aucune espèce de caractère. Chose inexplicable ! ces gens, qu’on n’a jamais vus à Paris, ne semblent pas du tout surpris de s’y trouver ; ils ne regardent rien, ils ne se regardent même pas entre eux, et cependant il est impossible de les apercevoir sans se récrier et de les con-