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LETTRES PARISIENNES (1841).

voilà tous rentrés !… En place ! la contredanse va commencer ! » Et les bals champêtres deviennent des bals d’hiver, moins la fraîcheur ; et l’épaisse fumée du tabac remplace la blanche vapeur des vallées, et les parfums enivrants de la bière remplacent la senteur sauvage des bois. Mais qu’importe ! les cœurs ingénieux savent trouver la solitude dans la foule et le mystère dans le bruit.

On s’amuse franchement jusqu’à l’heure fatale où il faut retourner au logis ; alors on écoute avec effroi la pluie qui tombe, le vent qui siffle ; on rêve un fiacre, on sait qu’à cette heure et par ce temps horrible le moindre véhicule est hors de prix ; le plus simple milord fait le renchéri dans toute la rigueur du mot ; eh bien ! on se décide aux plus grandes folies, on se promet de donner à cette orgueilleuse voiture le prix fabuleux qu’elle demandera ; mais où est-elle ? où la trouver ? Nulle part ; elle est anéantie. À Paris, pendant les grandes averses, les fiacres semblent engloutis ; non-seulement il n’y en a plus sur les places, ce qui est tout simple, mais on n’en voit point passer dans les rues, on n’a pas même la chance de les implorer et d’être méprisé par eux ; que deviennent-ils ? où vont ceux qu’ils transportent ? pourquoi ne traversent-ils pas la ville ? Cet étrange effet des orages parisiens n’a jamais pu être expliqué. Autre effet non moins cruel : dès qu’il pleut, toutes les portières viennent fermer la porte cochère de la maison ; pourquoi ? — Pour empêcher qu’il ne pleuve sous la voûte ? — Non ; c’est pour empêcher les piétons infortunés de se réfugier auprès d’elles. Il n’est pas de cœur plus insensible que le cœur d’une portière, pas même celui d’une coquette.

L’orage de dimanche a été désastreux ; on en a parlé toute la semaine. Riches et pauvres, tous les Parisiens en ont souffert. Chacun s’abordait par ces mots : « Où étiez-vous dimanche soir pendant l’orage ? » Cette question pouvait être indiscrète, mais personne ne se la refusait. Et c’était de toutes parts des récits épouvantables. « Moi, dit l’un, j’étais sur la route de Saint-Cloud ; mon cheval s’est emporté au moment où je passais sur le pont, j’ai manqué sauter dans la rivière. — Moi, dit un autre, j’étais à Versailles, et jamais je n’ai rien vu de plus étrange que l’aspect des débarcadères. Chaque voyageur était