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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Caroline, où courez-vous ? — Mon chapeau ! mon chapeau ! il est là-bas sur un banc. — Ah ! s’écrie une autre jeune fille avec anxiété, j’ai oublié mon sac dans le jardin ! — Et moi, j’ai oublié mon ombrelle ! — Ah ! tant pis pour l’ombrelle. — C’est bien fait, dit une envieuse, ça lui apprendra à faire la dame avec une ombrelle. — Comment, Fanny fait ombrelle ! reprend une autre non moins envieuse ; quel genre !… »

Peut-être, mesdames, n’avez-vous jamais remarqué tout ce qu’il y a d’aristocratique dans une ombrelle. La troupe joyeuse est enfin à l’abri dans les vastes salons de l’établissement ; elle patiente un moment ; mais bientôt elle s’ennuie. De temps en temps une beauté folâtre s’approche de la fenêtre, et, après avoir regardé la pluie qui tombe par torrents, se met à fredonner cet air gracieux et mélancolique, accompagnement et consolation de tous les orages :


Il pleut, il pleut, bergère,
Rentre tes blancs moutons, etc.


Puis elle s’écrie : « Est-ce qu’on ne danse pas ? » On lui répond : « Il pleut, il pleut, bergère… » — Il pleut ; mais on pourrait bien danser dans le salon, qui est de trois cents couverts. — Et les musiciens ? — Ah ! c’est vrai, les musiciens, où sont-ils donc ? — Ils sont là-bas dans le jardin, sous leur toit de chaume. — Ces pauvres musiciens, comme les voilà serrés les uns contre les autres ! ils sont comme des poulets sous un hangar. Mais qu’est-ce qu’ils ont donc à faire des signes comme ça ? — On leur dit de venir, et ils ne veulent pas. — Pourquoi donc ? — Parce qu’ils ne veulent pas traverser le jardin par la pluie ; ils ont peur pour leurs violons et leurs basses. — Tiens ! voilà les garçons qui leur portent des parapluies ! Ah ! les voilà qui s’embarquent ! — Boum ! boum ! — Il pleut sur la basse ! — Climm ! climm ! — Tiens, celui-là qui joue du violon avec le bec de son parapluie ! Est-il maladroit ! — Oh ! le bon vieux qui saute sur la pointe du pied ! il a enveloppé son violon dans un mouchoir écossais. Il en a bien soin de son pauvre violon, il le presse sur son cœur comme un enfant ! — Et celui-là qui ne porte rien et qui se promène comme un monsieur ? — C’est le flageolet. Il a mis son instrument dans sa poche. — Les