Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/201

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
193
LETTRES PARISIENNES (1841).

vient à vous : il est vêtu de noir et il a parfaitement bonne façon ; il n’a pas l’air ébouriffé d’un maître d’italien à gros favoris, il n’a pas l’air insolent d’un Frontin de comédie, il n’a pas l’air dégagé d’un prince polonais, il n’a pas non plus l’air officieux d’un domestique de place ; il a l’air d’un valet de chambre de bonne maison. Vous traversez un joli salon arrangé d’une manière charmante. Dans ce salon il y a des tableaux, mais sur les murs ; il n’y en a pas sur les chaises. Il y a aussi des porcelaines, mais raisonnablement ; les étagères ne rivalisent point avec les magasins de Toy ni avec ceux de l’Escalier de cristal, et puis il n’y a que des objets de prix, rien qui sente le colifichet et le joujou. Ni poussah ni magot monstrueux, rien qui doive impressionner les femmes grosses. Vous entrez dans le grand salon, un salon idéal, vaste mais point immense, riche et point somptueux, un salon dans lequel on peut donner une fête et dans lequel on peut se tenir tous les jours ; il n’affecte aucun souvenir historique, il ne vous parle d’aucun roi de France, ni de Louis XIII, ni de Louis XIV, ni de Louis XV. C’est un salon d’aujourd’hui, fait pour être habité avec les mœurs et les gens d’aujourd’hui. Et cependant il n’est pas à la mode, les caprices du moment n’ont présidé en rien à sa disposition. On n’a choisi pour l’orner que des choses qui sont toujours belles, qui sont toujours commodes, qui sont toujours de bon goût. La maîtresse de la maison, assise sur son canapé, est entourée de plusieurs amis ; c’est la maîtresse de la maison idéale : tout est parfait dans ses manières, point d’empressement affecté, point de dignité préméditée ; sa politesse n’est ni flatteuse ni caressante ; elle ne s’agite point, elle ne se récrie point ; elle est calme sans être froide, bienveillante sans être doucereuse. Elle s’occupe de vous gracieusement, mais pas exclusivement ; elle n’abandonne point pour vous les premiers venus, car s’occuper uniquement de celui qui arrive, c’est l’engager à s’en aller tout de suite, c’est lui faire sentir qu’il a dérangé une causerie intéressante qu’on a hâte de reprendre après son départ. Au contraire, elle vous initie à la conversation générale, et son influence est telle, que chacun de ses amis semble vouloir aussi l’aider à vous accueillir. Dans un coin du salon, auprès d’une table ronde, deux belles