Page:Œuvres complètes de Delphine de Girardin, tome 5.djvu/20

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
12
LE VICOMTE DE LAUNAY.

variés, et le ravage est monotone ; donc, le rendez-vous était encore au même Bœuf couronné. Tout le Paris élégant, le Paris prétentieux, le Paris anglais était réuni à cette fête. « Il y avait là tout ce qu’on connaît. » Phrase favorite des gens qui précisément ne connaissent personne, ou qui du moins ne connaissent les hommes et les femmes à la mode que par leur nom. Mais cette foule brillante qui venait là pour applaudir et admirer, au contraire, n’a pu jouir que du plus désagréable de tous les spectacles, une tragédie ridicule, cinq gentlemen riders s’élançant avec orgueil sur de magnifiques coursiers, et tout à coup, après avoir fait cent pas à peine, disparaissant avec leurs montures dans un fossé plein d’eau… Éclipse totale de gentlemen riders !… Cependant l’onde s’agite ; un ex-cavalier, maintenant Triton, sort des flots ; il tire violemment par la bride son cheval, qui refuse de le suivre ; l’eau est bonne : tout bien calculé, la pauvre bête, qui est blessée, aime mieux nager que courir. Ses ex-rivaux, maintenant ses compagnons d’infortune, ont la même pensée ; chevaux et cavaliers barbotent à l’envi dans le fossé ; les canards du voisinage en sont jaloux. Les uns essayent de remonter sur la berge, mais ils retombent sur les autres qui se débattent au fond de l’eau. C’est une lutte misérable que la boue et le sang rendent tour à tour burlesque et terrible. La belle et célèbre Barcha, que lord Seymour venait d’acheter à un si haut prix, a terminé dans cet obscur combat sa brillante carrière ; plusieurs gentlemen riders ont été blessés. Nous n’aurons pas la cruauté d’en nommer un seul, et pourtant nous sommes impitoyable pour ce genre de revers. Selon nous, les extravagances prétentieuses n’ont qu’une excuse, c’est le succès.

M. de S… disait, en parlant de ces sportsmen si plaisamment abîmés dans un fossé : « Ce ne sont pas d’aussi bons cavaliers qu’on le croyait, mais ce sont d’excellents plongeurs ; savez-vous qu’ils sont restés dix minutes sous l’eau ! »

Il y avait du reste au steeple-chase un nombre infini de jolies femmes, ce qui rendait la défaite des héros encore plus pénible. Nous l’avons souvent dit, cette époque de l’année est la saison des jolies femmes. On en aperçoit partout : les unes sont à pied, mises simplement, enveloppées d’un mantelet ;