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LE VICOMTE DE LAUNAY.

une femme ? L’amour, ce n’est qu’un moment dans la vie, un rêve, et quelquefois un rêve douloureux. Les seules affections véritables pour une femme, ce sont les affections de famille : c’est une mère, ce sont des sœurs qui l’entourent de soins ; c’est un mari qui la protège, ce sont des enfants qui la chérissent. Les femmes envient ma liberté, et moi je la maudis ; cette liberté fait mon supplice : ce n’est pas de l’indépendance, c’est de l’isolement, c’est de l’abandon ! Si vous saviez comme je m’ennuie d’être toujours seule dans cette maison, de n’y laisser personne quand je sors, de n’y retrouver personne quand je rentre, de n’entendre aucun bruit, de penser que cette porte ne peut s’ouvrir que pour une visite, de vivre toujours avec des étrangers ; car l’homme le plus aimé, le plus digne de l’être, pour une femme qui n’a pas le droit de l’aimer, n’est jamais qu’un étranger… Hélas ! un mariage, un autre amour, peuvent en faire un ennemi… Ah ! si vous saviez combien ma vie est triste et désenchantée, vous ne seriez plus étonné de me voir pleurer et vous auriez pitié de moi… »

En écoutant ces aveux, vous cherchez par quelles douces paroles vous pourrez consoler un si profond chagrin ; mais vous ne trouvez rien à dire et vous restez confondu. Heureusement, la jeune femme, poursuivant son idée, reprend son mélancolique refrain : « Oui, continue-t-elle en soupirant, pour les femmes, il n’y a de bonheur que dans la vie de famille. » Ce mot vous éclaire ; vous ne pouvez vous empêcher de sourire et vous vous écriez : « Ah ! si madame de Vallange vous entendait, que dirait-elle ? — Est-ce qu’elle dit quelque chose, cette petite niaise ? reprend la belle Stéphanie d’un air dédaigneux. — Elle dit que la vie de famille est un enfer (vous exagérez pour mieux consoler) ; elle dit qu’en famille on ne peut pas être aimable ; elle dit que sa mère la gronde quand elle chante bien ; que si elle cause avec des jeunes gens, ses sœurs crient qu’elle se compromet et que sa réputation est perdue ; elle dit que son mari la tyrannise, que son beau-frère la persécute, qu’on lui défend d’être gaie, d’aller au spectacle et de s’amuser ; qu’on la condamne à ne porter jamais que de vieilles robes et de vieux bonnets ; qu’on exige enfin qu’elle paraisse laide et stupide pour cacher qu’elle est spirituelle et jolie ! — Ah !