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LE VICOMTE DE LAUNAY.

de la musique, elles m’appelleraient Corinne, elles se moqueraient de moi, elles diraient que je fais l’artiste ; de grâce, ne leur en dites jamais rien. — À une condition, c’est que vous chanterez encore cet air si joli… »

Louise, confiante et gracieuse, se remet au piano.

Alors vous la regardez, et elle vous paraît plus que belle. Vous découvrez qu’elle a des yeux charmants, un teint superbe, des dents d’une blancheur éblouissante ; ses doigts, un peu maigres, sont parfaitement bien faits ; ses ongles, transparents et roses, révèlent une noble nature ; sa taille est élégante et gracieuse. En l’écoutant, vous vous demandez comment il se fait que depuis trois ans vous évitiez de lui parler ; vous ne comprenez pas qu’il vous ait fallu tant de temps pour la trouver adorable. Cette petite Louise obscure et dédaignée est tout simplement la femme la plus séduisante que vous ayez jamais rencontrée ; elle devine combien elle vous plaît, et par reconnaissance elle cherche encore à vous plaire ; c’est la première fois qu’elle ose être aimable, cette pauvre enfant, et elle veut vous remercier du courage que vous lui donnez. Peu à peu, elle vous explique tout ce qu’elle appelle ses défauts ; bientôt vous avez le secret de son malheureux caractère : elle a peur de sa mère, elle a peur de ses quatre sœurs, elle tremble devant son beau-frère. Dans la maison, tout le monde se moque d’elle. Quand elle chante avec expression, sa mère lui dit qu’elle fait des mines et qu’elle a l’air d’une actrice ; quand elle risque une robe à la mode nouvelle, son beau-frère lui dit qu’elle fait la lionne et que c’est de très-mauvais goût ; quand elle essaye de causer dans le salon et de rire avec quelques amis, ses quatre sœurs se regardent avec étonnement et l’une d’elles s’écrie : « Ah ! Louise qui se lance !… » Aussi elle ne chante jamais, elle ne porte que les vieilles robes de son trousseau, et elle ne parle à personne. « Je vous assure, monsieur, ajoute-t-elle avec un gracieux et malin sourire, qu’il est bien difficile de paraître aimable dans une nombreuse famille… » Vous répondez quelque chose de très-joli, et vous la quittez pour aller raconter par la ville comment vous avez découvert que cette pauvre petite baronne de Vallange, que l’on croit si maussade, est une des femmes