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LETTRES PARISIENNES (1841).

C’est une des filles de la maison, la dernière mariée, petite personne insignifiante s’il en fut jamais ; mais enfin tous devez être poli pour elle, et vous vous résignez. Vous entrez dans l’antichambre ; un vieux maître d’hôtel, à votre aspect, se lève et vient à vous. « Madame de Vallange ? » Vous espérez encore qu’il va vous répondre que madame la baronne n’est pas visible. Au lieu de cela, il vous regarde avec étonnement. « Mademoiselle Louise ?… » dit-il ; puis il reprend : « Madame la baronne est dans le salon. » Et le brave homme, en redressant sa taille courbée, le sourire sur les lèvres, le regard joyeux, vous annonce à haute voix en ouvrant les deux battants de la porte du salon. Quelle bienveillance dans cet accueil du vieux serviteur ! Comme il vous sait bon gré de venir visiter sa jeune maîtresse que tout le monde dédaigne parce qu’elle est naïve et timide, mais que lui préfère à toutes ses sœurs et belles-sœurs, parce qu’elle est douce et généreuse et qu’il l’a vue naître. Louise n’est pas dans le salon ; elle est dans son cabinet de travail, à son piano ; elle chante ; vous vous arrêtez pour l’écouter. Sa voix éclatante et pure vous émeut ; vous cherchez à deviner de qui est l’air qu’elle chante ; mais c’est un air nouveau, d’une mélancolie ravissante, et que vous n’avez jamais entendu.

Après le premier couplet, vous ne pouvez vous empêcher de vous écrier : « Quelle voix charmante ! » Louise aussitôt vient à vous ; votre exclamation la fait rougir ; ses traits sont animés ; elle est si jolie, que d’abord vous ne la reconnaissez pas. « Madame, dites-moi, je vous prie, qui a fait la musique de cette romance ? elle est admirable. — C’est… vous trouvez ?… c’est un jeune compositeur. — Son nom, madame, je vous en conjure ? — Mais… je ne… le sais pas ; c’est un amateur. » Louise rougit encore, car elle ment… Vous le voyez, et vous dites avec assurance : « Cette romance est de vous, madame ! Pourquoi n’en pas convenir, vous ne m’apprendrez rien ; on m’a déjà dit que vous composiez des airs charmants. — Charmants ! non ; je m’amuse seulement à chercher des chants pour ma voix. Mais qui a pu vous dire ?… — Mesdames vos sœurs. — Oh ! mes sœurs ! c’est impossible, elles ne s’en doutent pas ! je me cache d’elles. Ah ! si elles savaient que je griffonne