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LE VICOMTE DE LAUNAY.

sente l’Académie française ; le reste du salon représente les autres classes de l’Institut : la classe des Beaux-Arts, des Inscriptions et Belles-Lettres, etc. C’est complet. Cette agréable retraite ne laisse rien à désirer, si ce n’est pourtant la maîtresse de la maison : elle se plaît un peu trop à vous faire attendre dans ce séjour flatteur qui raconte si bien tous ses talents. Enfin elle paraît. Sa première parole confirme une de ses prétentions de vous déjà connue ; et cette première parole, qui est une impolitesse mitigée de pédanterie, vous met à la porte naïvement. Vous saluez avec grâce et vous dites : « La pluie a dérangé vos projets de promenade ; j’en suis bien heureux, madame… mais je crains que vous n’en soyez doublement contrariée… — Moi ! j’en suis enchantée, » dit-elle d’un petit air espiègle. Ce début vous semble assez aimable ; mais elle continue : « C’est mon père qui m’avait forcée de sortir, ce qui me désolait. Figurez-vous que j’ai reçu ce matin, de Dresde, un roman nouveau du célèbre Flibbertiggibbet-Hauzen (ce nom demande à être prononcé très-vite, l’h est plus qu’aspirée, elle est exaspérée), et je me réjouissais de passer ma journée toute seule, à le lire, là sur mon canapé, bien tranquillement… » Le congé est positif, vous profitez de cette impolitesse pour vous retirer : « Madame, dites-vous, je ne veux pas retarder plus longtemps le plaisir que vous espérez d’une si charmante lecture, je vous laisse tout entière au célèbre Flibustiergilbergobsom… » Vous partez. Dans l’escalier, vous rencontrez un de vos amis ; vous lui dites tout bas : « Je t’en préviens, tu vas trouver madame de *** occupée à lire un roman qui arrive de Dresde. — Ah ! je parie bien que non, reprend l’insolent moqueur ; elle ne me parle jamais allemand à moi, et pour cause. — Tu sais donc l’allemand ? — Oui ; mais j’ai l’oreille fausse, je ne danse pas en mesure : elle va me parler musique ! »

Deuxième souvenir : la femme inconnue. — « Madame la marquise de Cherville ? — Elle est sortie. — Madame la comtesse Édouard de Cherville ? — Elle vient de sortir aussi. » Vous préparez vos deux cartes ; mais on ajoute : « Madame la baronne de Vallange est chez elle. » Vous voilà pris. Vous n’osez dire : « Je ne me soucie pas du tout de voir celle-là !… »