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LETTRES PARISIENNES (1841).

plus de faire semblant d’apprendre le chinois. En fait de ruse, les ménagements et les économies sont des duperies.

La troisième fenêtre est un correctif de celle-ci ; elle est destinée au rôle gracieux, elle est chargée de rappeler les séductions de la femme, son adresse, sa délicatesse, sa coquetterie, son habileté aux travaux de Minerve, sa patience et son bon goût ; tout cela s’exprime par un métier à broder orné (orné est le mot) d’une belle chaise en tapisserie commencée par mademoiselle Gérard ou mademoiselle d’Hauterive, et que certes la maîtresse de ce salon n’achèvera pas. Un panier à ouvrage dont le couvercle est toujours béant, des écheveaux de soie impitoyablement exposés à l’air et à la poussière, sont priés de dénoncer un travail récemment interrompu ; mais si vous soulevez le taffetas vert qui protège ce bouquet naissant, vous reconnaîtrez que ces belles fleurs sont intactes, et que celle qui menaçait d’éclore la première ne s’est pas encore épanouie depuis un an. Il n’y a que les femmes qui ne travaillent jamais qui laissent en leur absence traîner leur panier à ouvrage, leurs soies et leur tapisserie ; les véritables ouvrières, avant de sortir, ont grand soin de serrer toutes ces choses, et cela se conçoit : comme elles travaillent, elles n’ont pas besoin de faire semblant de travailler.

Dans le milieu du salon, sous le lustre, se trouve un grand piano à queue. Cet instrument parfait d’Érard ou de Pleyel est destiné non-seulement à encombrer le salon, mais encore à dévoiler ou plutôt à dénoter une violente passion pour la musique. Sur le pupitre, toujours dressé prétentieusement, s’étale un morceau impossible de Thalberg ou de Listz, les variations sur la Prière de Moïse ou le Galop infernal ; puis çà et là sur le piano voltigent des airs de musique prétendue étrangère, la romance de la Juive, paroles allemandes ; les boléros de la Muette de Portici, paroles espagnoles ; les chants écossais de la Dame blanche, paroles italiennes. Si vous ne vous croyez pas chez une excellente musicienne en voyant cela, vous n’êtes pas connaisseur, monsieur.

Toute la partie de l’appartement qui entoure la cheminée est consacrée à la littérature ; on admire la bibliothèque choisie, les poëtes d’affection, les livres de piété. La cheminée repré-