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LETTRES PARISIENNES (1841).

d’un air timide. — D’où êtes-vous donc ? — Des Batignolles… » Nous sommes allé plusieurs fois en Suisse, nous avons visité le canton de Lucerne, le canton de Zurich, le canton des Grisons, mais nous n’avons jamais visité le canton des Batignolles ; nous le confessons, ce vingt-troisième canton de la république helvétique nous était complètement inconnu. En descendant du chalet, nous avons aperçu une aimable bergère, coiffée d’un modeste chapeau de paille aux rubans flottants. Sur son cou un simple fichu de gaze était négligemment noué à la paysanne, et attaché par une agrafe d’émeraudes magnifiques montées en diamants. — C’était donc la Bergère des Alpes ? — Non, mais une duchesse du Piémont. Comme nous étions occupé à admirer cette parure champêtre, la femme à laquelle nous donnions le bras s’écria tout à coup : « On me vole mon bouquet ! » et, tournant vivement la tête, elle aperçut à ses côtés une biche qui dévorait toutes ses roses. Puis vinrent des faons joyeux, des daims et des gazelles qui se mirent à jouer dans le parc, au grand contentement des spectateurs.

Quand la nuit tomba, on rentra dans les appartements ; le bal commença, et des métamorphoses subites nous jetèrent dans un profond étonnement : les robes du matin étaient devenues des robes du soir ; les chapeaux avaient été remplacés par des guirlandes. Dans un salon voisin, le célèbre Édouard, venu de Paris, attendait les jeunes danseuses et réparait les avaries de leurs coiffures ; on avait quitté celle-ci ayant de longs cheveux défrisés, on la retrouvait le front paré de bandeaux majestueux ; on avait vu le matin celle-là sans cheveux, on la retrouvait maintenant avec des boucles superbes ; et elles revenaient toutes avec des fleurs nouvelles. Rien n’était plus élégant. Alors on se mit à danser et à valser avec ardeur. On était si fatigué d’avoir marché toute la journée, il fallait bien se reposer ma peu en sautillant !

À dix heures, une bombe éclate : c’était le signal du feu d’artifice. On le tirait sur la pelouse des jets d’eau, et ces gerbes d’eau, qui se terminaient en gerbes de feu, produisaient un effet nouveau ; la pluie d’étincelles tricolores tombait de tous côtés sur le gazon. « Tenez, nous disait madame de V…