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LETTRES PARISIENNES (1841).

plus d’éclat, à leurs regards plus de vivacité. Mais le matin, l’égalité se rétablit, c’est-à-dire que c’est l’injustice de la nature qui prévaut ; il ne s’agit plus d’être richement parée, d’être une femme à la mode, d’être une femme d’esprit ; il s’agit d’être blanche et rose, d’avoir cette limpidité du regard et cette fraîcheur du sourire que l’on ne possède qu’un moment, dans l’âge béni de l’ignorance, et qui veulent dire tant de choses, qui signifient : Quand j’ai pleuré, je n’avais point de chagrin ; quand j’ai souri, ce n’était pas pour cacher mes larmes ; tout le monde m’aime, je ne me défie de personne, je crois au bonheur et je l’attends.

Vous pensez bien que les yeux ne disent pas longtemps ces douces choses ; il faut donc se dépêcher de faire valoir le genre de beauté que donnent ces idées-là. Aussi les bals du matin ont-ils été nombreux cette année ; on a remarqué qu’ils étaient beaucoup plus favorables aux projets de mariage que les bals du soir, ce qui prouve la justesse de nos observations.

La fête de l’autre jour offrait un coup d’œil admirable ; elle s’étendait en amphithéâtre sur la montagne de Suresnes, de la manière la plus coquette : c’était un mélange de luxe et de simplicité, de nature et d’art, de mœurs fashionables et de mœurs champêtres, tout à fait nouveau. Au pied de la montagne coulait la Seine ; elle ondoyait sous les rayons du soleil comme un long ruban d’or et d’argent ; au bord de l’eau s’étendait la grande route, couverte de voitures et de paysans curieux ; au-dessus de la route s’élevait comme une immense terrasse, la grande allée du jardin ; puis une vaste prairie montante parsemée de jets d’eau, puis une seconde terrasse où les invités étaient réunis, et sur laquelle on voyait flotter les écharpes de toutes couleurs, les robes d’organdi roses ou bleues, les robes de dentelles doublées de lilas ou de vert, les marabouts pleureurs, les plumes blanches ; enfin, couronnant le tableau, au sommet de la colline, apparaissait le château, avec ses escaliers de marbre et son portique de fleurs. C’était superbe ! Nous avions du soleil à cette époque-là, il y a huit jours !

Malgré la réalité de ce soleil, cette fête ne laissait pas que d’être fantastique. Bien des choses inconnues vinrent là aussi