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LETTRES PARISIENNES (1841).

que la Presse avait changé de ligne, et qu’après avoir sagement combattu pour la paix du monde, elle venait d’adopter violemment un système de guerre universelle. Ô lecteurs ! faudra-t-il tous les ans vous le redire : la Presse et le Courrier de Paris sont deux choses complètement distinctes et tout à fait indépendantes l’une de l’autre. La Presse n’est nullement responsable de ce que dit le Courrier de Paris, de même que le Courrier de Paris n’est nullement responsable de ce que publie la Presse.

L’un est un journal sérieux, l’autre est une gazette moqueuse, c’est-à-dire que leur caractère, leurs opinions, leur point de départ, leur but et leurs devoirs à tous deux sont différents.

Le journal est forcé d’être conséquent et raisonnable ; la gazette n’est tenue qu’à être élégante, et c’est quelquefois très-élégant d’extravaguer. Mais revenons à notre définition.

La Presse, engagée par des convictions profondes, est soumise cependant à toutes les considérations de la politique, questions de convenances, questions d’opportunité, etc., etc. Il lui faut souvent cacher une partie de sa pensée sur telle et telle personne, il lui faut attendre jusqu’à demain pour dire telle ou telle vérité dangereuse à publier aujourd’hui ; elle doit, enfin, ne voir jamais que l’avenir dans le présent.

Le Courrier de Paris, au contraire, est une sorte d’observateur insouciant que nulle considération relative n’enchaîne ; il est absolu dans ses opinions comme tous les esprits indifférents. Qui ne désire rien n’accède à rien. Oh ! c’est un terrible point de vue que l’indifférence !

Comme il n’appartient à aucun système, à aucun parti, à aucune école, il peut dire ce qu’il pense tout de suite et sur les événements et sur les personnes ; il n’admet point de date pour la vérité, elle lui semble toujours opportune. Il va droit son chemin, regardant çà et là, et blâmant partout ce qui le choque. Quelquefois on l’arrête et on lui crie : « Prenez garde, l’action que vous critiquez a été faite par un très-grand personnage ! — Tant pis, répond-il, c’est un détail qui ne me regarde pas. » Souvent on lui crie aussi : « Vous êtes fou, ce ridicule dont vous vous moquez si bien, c’est le vôtre. — Tant