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LE VICOMTE DE LAUNAY.

démence est un des secrets de l’harmonie : les chants d’Orphée calmaient la rage des démons ; la harpe de David endormait les fureurs de Saül. Ô peuples égarés, pauvres nations en démence, ne repoussez pas les poëtes, eux seuls peuvent vous guérir, eux seuls peuvent vous délivrer des fléaux qui vous persécutent ! Il n’y a que les enfants de la montagne qui puissent démasquer l’hypocrisie de vos tyrans ; il n’y a que les favoris de la gloire qui puissent déjouer les intrigues de la vanité ; il n’y a que les penseurs immortels qui puissent imposer silence aux éternels parleurs…

Et ce qui prouve que les poëtes sont destinés à calmer toutes les mauvaises passions, et qu’ils savent répondre à des défis injurieux par de superbes et généreuses paroles, ce sont les vers que M. de Lamartine vient d’adresser à un Allemand obscur appelé Becker, qui a osé envoyer et dédier à ce grand orateur et député français un tas de méchants vers, parmi lesquels se trouve cette insolente ballade qu’on appelait la Marseillaise de l’Allemagne dans les cabarets officiels de la Prusse rhénane :

LE RHIN ALLEMAND.

« Ils ne l’auront pas, le libre Rhin allemand, quoiqu’ils le demandent dans leurs cris comme des corbeaux avides,

 » Aussi longtemps qu’il roulera paisible, portant sa robe verte, aussi longtemps qu’une rame frappera ses flots.

 » Ils ne l’auront pas, le libre Rhin allemand, aussi longtemps que les cœurs s’abreuveront de son vin de feu.

 » Aussi longtemps que les rocs s’élèveront au milieu de son courant ; aussi longtemps que les hautes cathédrales se refléteront dans son miroir.

 » Ils ne l’auront pas, le libre Rhin allemand, aussi longtemps que de hardis jeunes gens feront la cour aux jeunes filles élancées.

 » Ils ne l’auront pas, le libre Rhin allemand, jusqu’à ce que les ossements du dernier homme soient ensevelis dans ses vagues. »

À ces bravades, M. de Lamartine répond avec un dédain