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LETTRES PARISIENNES (1841).

vous ne le comprenez pas ; vous vantez Molière, et vous ne rappelez son génie que par vos ridicules de Trissotin. Vous défendez la pureté de la langue, et vous ne pouvez me critiquer moi-même sans faire dans vos phrases pâteuses vingt fautes de français contre moi ! etc., etc. » Voilà ce que tout le monde croyait que le nouvel élu viendrait dire, plus éloquemment sans doute, mais avec non moins de cruauté.

Au lieu de cela, il a fait entendre des paroles dignes et calmes, pleines de douceur et de loyauté. De sa position littéraire comme chef d’école et sectateur… il n’a rien voulu dire : c’eût été rappeler l’opposition qu’on lui avait faite, c’eût été faire un reproche. De ses doctrines rénovatrices… il n’a point voulu parler : c’eût été proclamer leur victoire, humilier les vaincus. De toute profession artistique… il s’est abstenu : confesser des croyances nouvelles, c’eût été blesser les préjugés de ses confrères ; c’eût été leur crier : « Je suis jeune, vous êtes vieux. Vous avez fait votre temps ! » Mais, au contraire, ce qu’il a voulu, c’est leur dire : « Rassurez-vous, je n’ai point de colère dans le cœur, parce que je n’ai point de vanité dans l’esprit ; je ne vous entretiendrai pas de nos querelles. Vos persécutions, je les oublie ; vos calomnies, je saurai vous les faire oublier. De telles misères ne troublent point mes rêves. Ce qui m’occupe, ce qui m’a toujours occupé, entendez-le, c’est la dignité de l’art, c’est l’indépendance de la pensée, c’est le triomphe de la vérité, c’est l’avenir de la civilisation, c’est la gloire de la France, c’est la grandeur de Dieu, ce sont toutes les nobles idées qui font vivre les nobles âmes… Ô mes ennemis ! connaissez-moi donc et rassurez-vous : un homme qui songe à de telles choses pendant qu’on l’insulte, d’avance a pardonné ! »

Il se présentait ainsi au milieu de ses ennemis, dépouillé volontairement de ses plus puissantes armes : c’est-à-dire le souvenir de leurs haines mesquines, le récit de leurs calomnies pitoyables, le portrait de leurs ridicules si précieux. Il venait là confiant parce qu’il était généreux, il ne regardait même pas à ses pieds, tant il était éloigné de soupçonner une embûche ; et lui, le conquérant orgueilleux à qui les étudiants d’Allemagne élèvent des arcs de triomphe ; lui dont la réputation est si grande dans la patrie même de Byron, qu’un monsieur