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LE VICOMTE DE LAUNAY.

mère, le duc de Val…, le comte V. Ki…, et l’on était bien fier d’être repoussé et dédaigné en si brillante compagnie. Du reste, messieurs les académiciens nous ont paru fort peu à leur avantage ; excepté ceux que nous venons de nommer, M. Molé, M. Lebrun et le récipiendaire, ils étaient tous en frac et très-mal mis ; ils avaient l’air de députés : le mot est dur, mais il est juste. Ce négligé parlementaire a été blâmé généralement.

Enfin, on nous a fait entrer dans la salle. Au premier moment nous nous sommes cru dans une académie de femmes. De la place où nous étions, au pied de la présidence, on ne voyait que des chapeaux de toutes couleurs et dans ces chapeaux les plus jolies figures que l’on puisse imaginer. L’aspect élégant de cette assemblée nous remplit d’inquiétude : Victor Hugo avait bien voulu la veille nous lire son admirable discours ; nous savions comme toutes les pensées en étaient graves et profondes, et nous craignions que de si graves pensées n’eussent quelque peine à pénétrer à travers les dentelles légères dans ces imaginations si jeunes, si fraîches et si joyeuses. À dix-huit ans, toutes les femmes peuvent comprendre les rêves sublimes et passionnés du poëte ; mais pour savourer l’amertume de ses souvenirs, pour apprécier la dédaigneuse patience de sa philosophie, pour partager l’indulgence désespérée de ses jugements, il faut avoir acquis, à force de larmes et de dégoût, cette tristesse savante que le monde nomme expérience et que nous appelons désenchantement.

Ce riant parterre d’abord nous avait épouvanté, mais bientôt son enthousiasme nous rassura complètement ; l’exorde, qui est majestueux et superbe, fut applaudi avec transport. Vous connaissez ce beau discours et vous devinez l’effet qu’il a dû produire : de l’admiration et de l’étonnement. Oh ! oui, un grand étonnement ; on s’attendait à des récriminations mordantes, à des chants de victoire insultants, à une profession de foi audacieuse, à des souvenirs enfin qui voudraient dire : « Vous m’avez repoussé trois fois, et me voilà ! Vous avez proscrit mes doctrines, et elles triomphent ; vous vous êtes joués de moi, et je viens à mon tour vous narguer, car vous êtes de pauvres écrivains sans style et de petits poëtes sans idées ; vous exaltez Corneille, et vous prouvez par vos ouvrages que