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LETTRES PARISIENNES (1841).

phides dont la beauté nous rappelait d’autres gracieuses beautés que nous avions déjà vues autrefois dans les fêtes terrestres de la grande ville. Une déesse au front majestueux passa devant nous. Elle jetait autour d’elle des regards doux et tristes qui semblaient dire : « Vous m’enviez, mais croyez-moi, ce n’est pas très-amusant d’être si belle… » Elle s’arrêta un moment près de la porte, puis elle disparut. Une autre blonde déesse couronnée de bluets, à la démarche légère, au teint de lis, semblait à son tour lui répondre : « Je ne suis pas comme vous, ça m’amuse beaucoup d’être jolie. » Et joyeuse elle dansait, puis à son tour elle disparut. Deux jeunes sœurs à la taille svelte, au fin sourire, aux regards expressifs et charmants, traversèrent la fête en se donnant le bras ; elles étaient vêtues de longues robes blanches et coiffées de grappes de perles noires ; elles tenaient à la main un bouquet de deuil, une touffe de roses blanches entourées de pensées… encore ces mêmes fleurs qui voulaient aussi servir de langage !

De belles jeunes filles, couronnées de roses, erraient dans la fête, escortées de jeunes femmes qu’elles appelaient leurs mères. Cela seul aurait suffi pour nous prouver que nous étions transporté dans un monde surnaturel. Une élégante nymphe aux cheveux noirs comme de l’ébène, aux regards brillants comme du jais, attirait l’attention de chacun ; sa parure était éclatante : sur la tête, elle portait une guirlande de géranium ponceau ; sa robe, à double tunique, était garnie d’une guirlande de géranium pareille à celle de sa coiffure, et ces fleurs, cueillies le matin, le soir n’étaient point fanées ; autre phénomène qui devait encore nous épouvanter. Cette nymphe si jolie affectait de ressembler à madame la duchesse de D…, et c’était une idée heureuse.

L’orchestre a cessé de jouer, la contredanse est finie, et soudain le même effet qui nous avait déjà tant effrayé se reproduit, toutes les danseuses s’évanouissent ; n’allez pas croire qu’elles tombent évanouies, comme cela se faisait si galamment autrefois ; nous voulons dire qu’elles disparaissent ; la salle reste encore presque vide. Cette fois, nous nous décidons à pénétrer cet inconcevable mystère et nous quittons le bal à notre tour… et le spectacle le plus admirable enchante