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LETTRES PARISIENNES (1841).

ce qui nous paraît un peu bien intime. On proposait l’autre jour à une jeune femme assez moqueuse d’imiter cette mode nouvelle : « Je le veux bien, dit-elle avec malice, j’ôterai mes gants, mais c’est à une condition. — Laquelle ? — C’est que toutes ces dames ôteront leur peigne. » Le trait était mordant, car presque tout le monde a de véritables mains, tandis que les fausses nattes sont très-communes, surtout sur le front des très-belles femmes, qui ont rarement de beaux cheveux.

Et vous pensez bien que, lorsque l’on danse sans gants, on danse aussi sans façon. On en arrive malgré soi à imiter les danses inimitables. Les prudes crient au scandale. Pour nous, nous regardons ce zèle exagéré comme un symptôme heureux qui annonce une réforme, depuis longtemps désirée, dans le système de la danse parisienne. En France, on procède en toute chose par excès. On ne se corrige d’une exagération que par l’exagération contraire ; puis, après le premier coup de feu, on se calme, et l’on se montre convenable pendant quelque temps. Aux coiffures trop hautes ont succédé les coiffures trop basses ; puis sont venues les coiffures ni trop hautes ni trop basses. Aux robes trop simples ont succédé les robes à huit volants, puis sont venues les robes raisonnablement élégantes. Aussi, nous l’espérons, à la danse morne, disgracieuse et niaise adoptée depuis quinze années, succédera bientôt la danse coquette, séduisante, mais digne et modeste, de nos mères. Cette danse grivoise qu’on essaye aujourd’hui n’est qu’une transition : Nous le répétons, dans ce beau pays des abus, les excès contraires sont les transitions naturelles. Oh ! quel triomphe nous prédisons à la femme intrépide qui aurait le courage d’apprendre à danser ! Puisque vous hasardez des poses étranges, pourquoi craignez-vous de risquer quelques jolis pas ? Vous osez mal danser comme des grisettes, et vous n’osez pas bien danser en femmes comme il faut ! — On se moquerait de nous, dites-vous ; nous serions ridicules. — Mais vous seriez charmantes, tandis que maintenant vous êtes… La phrase est mal construite, il ne faut point l’achever.

Ces fêtes qui se prolongent jusqu’au jour, ces soupers déjeunatoires font le sujet de toutes les conversations. Les femmes qui ont dépassé l’âge convenu des plaisirs ne pardonnent pas