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LE VICOMTE DE LAUNAY.

reuses. Ce que nous craignons de dire, nous ne le disons pas ; mais nous disons autre chose, et nous faisons de l’esprit sans le savoir. Nous déguisons si bien l’aventure de celui-ci, qu’elle se trouve être l’aventure de celui-là. Les critiques et les romanciers ont du malheur ; ils ne peuvent peindre un ridicule sans faire un portrait, imaginer un roman sans révéler une histoire. Aussi pourquoi se piquent-ils de faire de la vérité ? Les bouquets de Dorat et les bergers de Florian ne fâchaient personne. Faudra-t-il donc en revenir là ? Non, il faut faire son métier en conscience, l’accepter franchement avec ses ennuis et avec ses périls. Notre rôle est de peindre les ridicules du jour, les vôtres aussi bien que les nôtres, dont nous rions souvent de très-bon cœur. Peignons-les donc sans nous préoccuper du danger de les trop bien peindre. Raconter les mœurs du temps, tel est notre devoir. Si nous parlons de vous, monsieur, et de vous, madame, c’est votre faute ; pourquoi êtes-vous un trait de mœurs ?

Eh ! mon Dieu, nous n’y mettons point de malice, nous n’en voulons à personne ; nous regardons et nous rions, voilà tout. Quand nous voyons, par exemple, des gens que l’orgueil seul fait vivre manquer d’orgueil, et s’en aller, pour quelques tristes fêtes, flatter le premier Américain venu ; quand nous voyons de grandes dames et de grands seigneurs, c’est-à-dire des personnages qui font profession de dignité, supporter des impertinences que le plus humble solliciteur ne voudrait pas supporter, nous trouvons cela étrange, et nous le disons, nous en avons le droit. Trait de mœurs.

Quand nous voyons les ennemis de la royauté s’associer à la royauté pour étouffer la liberté ; quand nous voyons des lois de mort votées complaisamment par bonne grâce, nous trouvons que cela est étrange, et nous le disons, nous en avons le droit. Trait de mœurs.

Quand nous voyons des législateurs sévères se préoccuper si vivement du regret que pourraient éprouver quelques bas bleus de génie dans le cas où des maris récalcitrants voudraient les empêcher d’écrire et de mettre au grand jour leurs œuvres, au lieu de s’inquiéter du sort de tant de pauvres mères de famille qui, grâce à nos lois tyranniques, ne peuvent pas même