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LE VICOMTE DE LAUNAY.

voulez qu’ils l’abdiquent ! ce serait de la folie ; ils doivent y tenir d’autant plus que vous ne leur en laissez pas d’autres.

Et rien n’est plaisant comme d’entendre un projet de mariage se discuter aujourd’hui dans le grand monde.

Ce n’est pas dans la société, dans la famille, dans les relations du jeune homme, qu’on va chercher des renseignements ; non, c’est à la bibliothèque : on va sournoisement consulter de vieux parchemins ; et si là on découvre que le prétendu porte un nom trop jeune de deux ou trois cents ans, on le congédie sans pitié, malgré son esprit, malgré sa supériorité réelle, malgré son amour ; et, sans scrupule, on lui préfère un rival plus heureux, qui est laid, malingre, à moitié crétin, tout à fait sourd, dont la personne est dégoûtante, mais dont le blason est irréprochable.

Une mère apprend que le noble époux qu’elle destine à sa fille chérie est doué, par exemple, de cette infirmité cruelle que guérissait le roi de France et que ne guérit plus le roi des Français… Cela ne change rien à ses projets de mariage ; qu’importe que son gendre ne soit pas d’une bonne santé, s’il est d’une bonne maison ! Mais elle apprend que le prétendu, qu’elle croyait être de la grande maison des Nabuchodonosor de Normandie (nous choisissons ce nom bizarre exprès pour éviter toute allusion), est au contraire des petits Nabuchodonosor d’Auvergne ; qu’il ne descend pas des bons Nabuchodonosor ; qu’enfin lui-même est un mauvais Nabuchodonosor…. Aussitôt elle retire sa parole : tout est rompu… Et n’allez pas croire que la jeune fille se désespère et qu’elle réclame contre cet arrêt fatal ; non, non, elle-même connaît tout le prix des véritables Nabuchodonosor ; elle ne voudrait pas s’exposer à une mésalliance ; elle ne voudrait pas subir le sort de cette femme dont on nous contait hier l’histoire malheureuse : fille d’un grand nom qui voulait porter un grand nom, et qui dans son choix s’était trompée. — Elle est tombée sur un mauvais… mari ?… — Bien pis ! elle est tombée sur un mauvais… Nabuchodonosor. Trois mois après son mariage, elle découvre que son mari n’est pas de la grande famille dont il porte le nom !… Il n’est pas des bons Nabuchodonosor, il est des mauvais Nabuchodonosor. — Infortunée ! je la plains ! — Ce qu’il y a de plus affreux, c’est qu’elle est grosse, et que cette découverte gâte