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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Et nous avons le courage ou plutôt l’orgueil de dire que nous ne rêvons point l’égalité.

Mais l’égalité devant la loi ! criera-t-on. — Nous ne l’admettons pas plus qu’une autre. Eh ! c’est vraiment devant la loi qu’il ne saurait y avoir d’égalité. Il n’y a devant la loi que des innocents et des coupables, que des possesseurs et des usurpateurs, que des honnêtes gens et des fripons, que des oppresseurs et des opprimés, que des assassins et des victimes, et nous ne pensons pas que ces gens-là puissent jamais se regarder entre eux comme des égaux.

Non, non, les hommes ne sont égaux ni dans la vie ni dans la mort. Ne parlez plus de ce prétendu niveau de la tombe, de ces six pieds de terre qui suffisent au mendiant comme au roi… Mensonge ! toujours mensonge ! La mort n’égalise rien : à sa dernière heure, l’homme qui a lâchement vécu n’est pas l’égal de celui qui a vécu noblement. À son dernier soupir, l’homme dont l’existence a été douce et belle n’est pas non plus l’égal de celui qui a souffert toujours. Les vertus sont des titres, les souffrances sont des droits. On ne s’améliore pas en vain, on ne souffre pas inutilement. Dieu est un maître équitable, qui récompense chacun selon ses œuvres, et surtout selon ses peines. Heureuse l’âme qui a l’intelligence de ses douleurs ! pour elle les larmes ont un langage qu’elle comprend, le désespoir a des promesses qu’elle écoute. Oh ! qui de nous ne l’a senti, qu’en nous frappant Dieu s’engage, et qu’il est de certains chagrins, de certains tourments inouïs, insupportables, horribles, qui le compromettent avec nous pour l’éternité !

Non, ceux qui auront toujours ignoré ces affreuses peines ne seront pas, au jour du jugement dernier, les égaux de ceux qui les auront connues et dévorées.


LETTRE HUITIÈME.

Les Nabuchodonosor. — Les sept petites chaises. — Le concert turc.
13 avril 1841.

Nous entendons dire chaque jour : « Il n’y a plus de préjugés… Maintenant que les préjugés sont abolis… C’était bon dans le temps où il y avait des préjugés, mais aujourd’hui… »