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LE VICOMTE DE LAUNAY.

Mais revenons à cet admirable système des consolations ingénieuses. Dans sa prévoyante sollicitude, la société ne négligea aucun détail. À chaque bienfait, elle sut répondre par un bienfait équivalent ; à chaque faveur, elle sut obvier par une contre-faveur. Elle alla même un peu trop loin : elle donna tant à ceux qui n’avaient rien, que ceux qui avaient tout commencèrent à se plaindre. Les consolés étaient devenus les heureux.

Il y avait des hommes alertes et bien portants qui marchaient d’un pas si vif et si léger, que les autres hommes ne pouvaient les suivre, et qu’ils arrivaient toujours les premiers, en prenant partout la meilleure place.

La société, pour contre-balancer cet avantage, imagina des véhicules très-compliqués qui servaient à transporter d’un lieu à un autre les asthmatiques et les boiteux, de sorte que tous ceux qui ne pouvaient marcher, s’habituant à voyager dans de bons carrosses, se consolèrent peu à peu d’être privés du plaisir de voyager à pied, et bientôt ils cessèrent de regretter cet avantage.

Il y avait des hommes d’une taille noble et fière, qui tout d’abord attiraient l’attention des femmes. Les autres hommes, qui étaient petits et chétifs, par elles n’étaient même pas regardés, et ils se sentaient, par cette indifférence, humiliés et contristés.

La société, toujours spirituellement charitable, eut pitié de ces pauvres gens si maltraités, elle voulut venir à leur secours ; elle inventa pour eux les habits magnifiques, les coiffures chevaleresques, les uniformes guerriers, voire les gants blancs et les souliers vernis, et elle chargea une jeune folle, appelée la Mode, de donner une signification à, toutes ces parures dont elle affubla les malheureux qu’elle voulait consoler. Et il arriva que ces laiderons, ainsi fagotés, parurent charmants aux yeux des femmes, et qu’elles les préférèrent souvent à des hommes d’une beauté remarquable, dont la tournure était noble et fière, mais dont le chapeau était passé de mode et dont les habits étaient fanés.

Il y avait de même des femmes d’une merveilleuse beauté qui accaparaient tous les hommages et qui voyaient, pour elles,